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- Un week-end à Paris cinéma (et dans les années 80) : Love Massacre (de Patrick Tam, 81), Le marin des mers de Chine (de Jackie Chan, 83), La ville des pirates (de Raoul Ruiz, 83)
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Pour sa dixième édition, le festival Paris cinéma qui s’est refermé hier nous a encore plus gâtés qu’à l’accoutumée avec sa superbe rétrospective consacrée à Hong Kong. Presque cent films mêlant classiques réputés et curiosités invisibles, œuvres présentes et passées, polars de génie et virevoltantes merveilles de kung-fu. C’est par une de ces dernières que j’ai conclu ma sélection personnelle de séances : Le marin des mers de Chine, de Jackie Chan. Film-cartoon étendu sur 90 minutes, ne connaissant pas le sens de l’expression « temps mort », et virtuellement inracontable tant il s’y passe de choses. Retournements de situations, introductions de nouveaux personnages, improvisations sur le moment de plans d’action, tout est bon à prendre pour maintenir le rythme fou de la machine à baffes et à cascades. Jackie Chan n’a d’autre objectif que celui de ranimer les plaisirs enfantins de se courir après, se taper dessus, tout casser dans une pièce, et recommencer. Son film est une abracadabrante récréation à grande échelle, organisée par les meilleurs meneurs qui soient, rois hongkongais du bourre-pif, du coup de pied retourné et de la cascade à vive allure : Jackie Chan lui-même, Sammo Hung et Yuen Biao. Pour ne rien gâcher tous trois sont en plus de joyeux drilles, qui s’entendent comme larrons en foire. Se laisser emporter par la déferlante de leur mélange de gags et de gifles offre l’assurance de s’amuser autant qu’eux, devant ce divertissement proche de la perfection dans son genre.
Ambiance très différente dans l’autre film en provenance de Hong Kong, vu la veille. Love massacre de Patrick Tam est fidèle à son titre : on y trouve de l’amour, et un massacre. Mais le fil du scénario reliant l’un à l’autre suit un chemin singulier, déroutant. Love massacre est une œuvre furieusement libre, qui n’est assujettie à aucune contrainte de lieu, de narration, de genre. C’est avec une évidence étourdissante que l’on y évolue entre Hong Kong, San Francisco et Los Angeles sans que ces changements de décor ne deviennent à quelque moment que ce soit un enjeu du récit. La même philosophie s’applique aux personnages, dont l’importance et même la présence dans l’histoire ne sont jamais établies une fois pour toutes. En fonction de ces ajustements et déviations, Love massacre peut ainsi naturellement glisser d’un drame psy dans les premières scènes à une romance contrariée, et même à un slasher sans filet de sécurité, où le temps se suspend comme dans le pire des cauchemars, dans son dernier tiers. Tam impressionne par sa maitrise de chacune des ambiances qu’il embrasse, et par son audace sur l’ensemble du film. Encore plus que The sword, son précédent long-métrage (et le seul que j’avais vu de lui jusqu’alors), Love massacre atteste d’une capacité rare à tracer une voie insoupçonnée entre le cinéma de genre et une abstraction visuelle farouche ; entre des fractions de récits tout à fait identifiables et des manières de les raconter inédites et allusives – ici le recours aux couleurs primaires, dans le sillage des peintures de Rothko. Je ne trouve qu’un simple parent éloigné à ce film : la matrice terrible du cinéma moderne, le modèle de férocité et de chaos qu’est Psychose.
En dehors de Hong Kong, il y avait également d’autres programmations spéciales à Paris cinéma, dont un hommage au cinéaste chilien Raoul Ruiz mort l’an dernier (après avoir achevé le tournage de son dernier film La nuit d’en face, qui sort ce mercredi). J’ai ainsi pu découvrir l’un de ses longs-métrages les plus célèbres, La ville des pirates. La filiation entre Ruiz et les surréalistes y est éclatante, à tous les niveaux : manipulation de la mise en scène, déconstruction du récit, symbolisme des personnages, noirceur du propos. Ruiz compose un conte inouï, pétrifiant, qui nous confronte au Mal de la plus impitoyable des façons – lui est présent dans toute sa majesté, et nous ne disposons d’aucune des défenses communément établies dans ce genre d’histoire. Le monde tel que nous le connaissons, et le dominons, n’a plus cours dans La ville des pirates. S’y substitue une autre réalité, divergente mais suffisamment ressemblante pour abîmer nos repères sensoriels et fracturer nos certitudes morales. Ruiz multiplie les dérèglements formels en tous genres (sur la lumière, les perspectives, l’engorgement du cadre, les sautes de montage), qui porteraient le nom d’incohérences si seulement notre logique avait encore un semblant de validité dans ce contexte. Là, ce sont ces dérèglements qui ont valeur de règles de la même manière que la personnification du Mal, un enfant de dix ans au sourire enchanteur prénommé Malo (le premier rôle de Melvil Poupaud), trace la ligne directrice des vies de ses pantins humains selon ses préceptes corrupteurs et meurtriers. Le piège se refermera sur nous comme sur eux dans le dernier acte d’un film qui nous manœuvre sans que l’on comprenne, ou accepte de comprendre, l’issue fatale qui est en jeu. Conteur détaché, sans empathie pour les hommes ni attirance envers Malo, Ruiz expose brillamment le mélange de beauté indicible, de cruauté espiègle et de perversité sinistre qui constitue la relation trouble et déséquilibrée entre les deux camps en présence.