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- The murderer, de Na Hong-jin (Corée, 2010)
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Au ciné-cité les Halles, dans une petite salle affichant complet
Quand ?
Dimanche, à 17h
Avec qui ?
Un ami cinéphile
Et alors ?
Cet été 2011 voit les outsiders en provenance de pays satellites donner des leçons de cinéma de genre aux grosses machines fabriquées par l’astre hollywoodien : le même jour que l’excellent Attack the block est sorti dans nos salles le tout aussi épatant The murderer. Le premier vient d’Angleterre et fait dans la science-fiction, le second de Corée et pratique le thriller ; l’un comme l’autre sont de beaux accomplissements dans leurs genres respectifs. The murderer n’est qu’une demi-surprise puisqu’il vient à la suite d’un premier exercice de son réalisateur Na Hong-jin dans la même veine, The chaser1. Lequel était déjà spectaculaire de par son énergie et sa maîtrise formelle mais se compromettait, au-delà du point de non-retour, dans des artifices de scénario manipulateurs à l’excès et des positions morales franchement déplaisantes. Joie : dans The murderer, Na Hong-jin se débarrasse de ces travers, laissant à d’autres coréens le soin de trébucher sur le sol glissant du récit de vengeance personnelle (le bâclé et malhonnête J’ai rencontré le diable sorti il y a peu). Double joie : il en profite en plus pour s’améliorer là où il était déjà impressionnant.
The murderer est d’une toute autre envergure que The chaser, et il le fait savoir d’emblée. L’intrigue porteuse de suspense et d’action n’est pas le point de départ du film, mais le – mauvais – chemin choisi par le héros, Gu-nam, pour échapper à sa condition initiale misérable. Gu-nam appartient à la communauté des Joseonjok, qui sont en quelque sorte les Roms de l’Extrême-Orient. Un carton introductif nous explique comment ils sont apatrides de fait (d’ascendance coréenne, mais vivant dans une province, le Yanbian, rattachée à la Chine et n’ayant de frontière qu’avec la Corée du Nord), et traités comme des êtres inférieurs quand ils partent par des voies légales ou non en Corée du Sud mener une vie à peine moins misérable – au mieux les boulots dont personne ne veut et des logements sommaires, au pire la mendicité et la rue. Na Hong-jin ne s’en tient pas là, et utilise ensuite les moyens du cinéma pour formuler une illustration autrement plus concrète et marquante du calvaire des Joseonjok. Il met des images par-dessus les mots de l’ouverture (son observation de l’indigence dans le Yanbian rappelle beaucoup les premières scènes du Cimetière de la morale), et au cœur de ces images une figure à laquelle s’identifier, celle de Gu-nam. L’acceptation de sa part du pacte démoniaque que lui propose un chef mafieux local, un meurtre à commettre en Corée du Sud contre l’effacement d’une dette, intervient de manière relativement tardive, après que le film a pris le temps de faire de la chronique du quotidien de son héros un enjeu et non un décor.
Une fois entériné, ce contrat a pour principal effet de pousser The murderer encore plus loin dans cette voie crûment réaliste. Pour rejoindre la Corée du Sud, Gu-nam emprunte la route des migrants clandestins, aux sauts de puce innombrables entre les cars et les trains avant de finir à fond de cale, sans lumière ni nourriture. Le montage de cette séquence compte parmi les moments les plus forts du film. Na Hong-jin y paraît véritablement habité par son sujet, un sentiment qui domine également lorsque, une fois sur les lieux du futur crime, le cinéaste insiste autant sur les difficultés de Gu-nam à survivre (le froid, la faim, la chambre miteuse) qu’à préparer son acte. Cet équilibre étonnant et cinématographiquement admirable se prolonge jusqu’au premier choc de The murderer, le meurtre commandité. Au cours de l’exécution de celui-ci, Na Hong-jin s’autorise un coup de force narratif qui fait exploser le cadre du récit et l’ouvre aux quatre vents. Les cartes sont redistribuées entre les personnages principaux et ceux que l’on croyait secondaires, et plus rien ne fait vraiment sens pour eux hormis la pulsion de survie. Le ton se fait plus tragique et grotesque à la fois, dans la lignée de The chaser. Tout le film est comme retourné inside out. L’expression la plus concrète de cela est le déversement à l’écran, sans limite dans la durée ni dans la radicalité, de la violence jusque là présente à l’état latent dans les rapports entre les individus.
A partir de ce point, et pour toute sa seconde moitié, The murderer n’est plus qu’une succession d’éruptions de sauvagerie ; un cauchemar dans lequel tout conflit ne peut se régler que dans le sang et la souffrance physique. Le cauchemar est long et douloureux pour les personnages, moins pour le spectateur. Il est contenu dans les limites de ce qui est endurable, et acceptable, par la faculté de Na Hong-jin à instaurer une distanciation vis-à-vis de la violence qui ne nous place ni trop près (nous faisant cautionner les horreurs commises) ni trop loin (les rendant bouffonnes et inoffensives). Hormis chez Tarantino, c’est un don que l’on a peu l’occasion de voir. Couplé à la phénoménale source d’énergie qu’est la mise en scène de Na Hong-jin, il permet à The murderer de tenir la distance dans son état d’instabilité et d’insécurité devenu total. Cette deuxième face du film a ses défauts : trop étirée, trop éclatée entre différentes histoires dont certaines sont des impasses superflues (l’enquête policière, la recherche de l’épouse du héros) – là, les coupes que Na Hong-jin a décidé de faire dans une première version encore plus longue mais mal reçue en Corée sont peut-être à mettre en cause. A l’approche de son point final, The murderer risque le surrégime, enchaînant scène de carnage sur scène de carnage avec un regard de plus en plus carnavalesque. Mais avant d’avoir pu nous contrarier intellectuellement, cette spirale hors de contrôle nous épuise physiquement. Ce qui était assurément le but du cinéaste, un but moins noble que celui de la première moitié du récit mais tout aussi brillamment atteint. On ressort de la salle lessivé. Et conquis par cette fougue inconsidérée, cette manière de ruer dans les brancards et d’imposer sa propre loi.
1 la correspondance entre les deux titres n’est pas le fait d’une monomanie du cinéaste mais de l’opportunisme du distributeur (la traduction du titre original de The murderer est La Mer Jaune)
Je ne partage sans doute pas votre appréciation de la « juste distance » chez Tarantino, mais votre récéption de « The Murderer » bien davantage. Et il vrai que je suis aussi sorti lessivé.
En revanche, dans un genre finalement assez différent, « J’ai rencontré le diable » m’a également séduit. Je ne crois pas le trouver malhonnête.
Pour moi « J’ai rencontré le diable » est un film malhonnête, complaisant, et irresponsable (mais ça faisait beaucoup d’adjectifs pour un aparté dans une critique consacrée à un autre film). Non seulement le réalisateur Kim Jee-woon manipule et bâcle ses scénarios pour rejoindre le point où il souhaite arriver (la manière dont il nous fait croire dans la dernière partie que le tueur joue enfin d’égal à égal avec le « héros », puis met fin de façon complètement arbitraire à cet équilibre), mais en plus il dérive sans cesse de la critique de la vengeance à la fascination pour elle, du dégoût au plaisir. Son film n’est à mon sens qu’un énième torture porn décérébré, d’autant plus énervant que Kim Jee-woon est effectivement talentueux, et qu’il se croit plus malin. La fin, qui fait payer de la plus horrible des manières deux vieillards et un gamin avec pour toute contrepartie le fait de voir le « héros » fondre en larmes, nous prouve le contraire.
Ah oui, c’est vrai, la dernière scène ! J’avais « dissocié » au point d’oublier : j’ai trouvé ça très mauvais, en effet, et très idiot. D’ailleurs, d’une manière générale, je trouve le scénario faible.
Il est possible en revanche que l’ambivalence entre critique et fascination de la vengeance et/ou de la violence soit quelque chose que je ne rejette pas, sachant que je ne la traduis pas alors sur les modes « dégout » et « plaisir ». C’est une contradiction que je trouve possible.
Tout à fait d’accord sur la possibilité (et même l’intérêt) d’un propos ambivalent entre critique et fascination pour la violence. Malheureusement dans « J’ai rencontré le diable » je n’ai vu que de la fascination, mal amenée et mal assumée.