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- Super 8, de J.J. Abrams (USA, 2011)
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Au Gaumont Marignan, en avant-première dans le cadre du festival Paris Cinéma
Quand ?
Samedi soir, début juillet
Avec qui ?
MonFrère
Et alors ?
Super 8 sortait déjà largement du lot sur le papier, à l’annonce de la cuvée 2011 des blockbusters, en étant quasiment le seul à ne pas être un rejeton de plus d’une franchise à succès ou le portage sur grand écran d’un comic book. Le seul à avoir un sujet original et un auteur talentueux aux commandes. Autant dire que l’attente s’en trouvait décuplée par rapport à ce que génère déjà mécaniquement un projet de J.J. Abrams, l’homme aux pitchs, aux teasers et aux pré-génériques les plus excitants de la Terre en ce début de millénaire. Le point de départ de Lost, le sujet de Cloverfield, la scène d’ouverture renversante du dernier Star Trek, c’est lui, lui et encore lui. Mais voilà, Abrams n’était jusqu’à présent qu’un starter de turbo : une fois l’étincelle de départ allumée, soit il quitte le navire pour aller chasser d’autres idées géniales (cas n°1, pour Lost), soit il passe la main à d’autres en se repliant en retrait du front (cas n°2, pour Cloverfield), soit l’œuvre finale n’est pas à la hauteur, l’énergie des premiers instants étant rapidement dissipée (cas n°3, pour Star Trek). Alors même si le premier teaser de Super 8 était une fois de plus une petite bombe, la prudence était de rigueur.
On peut dorénavant souffler : avec Super 8 Abrams est enfin aux commandes d’une œuvre pleinement accomplie, du début à la fin. Et, corollaire de cet accomplissement, l’été américain est sauvé, peu importe l’amas de produits inintéressants envahissant les salles par ailleurs. Super 8 doit sa réussite éclatante à sa condition de film hybride, qui expérimente nombre d’amalgames et rencontre à chaque fois un succès franc et entier. Le ravissement est dès lors double ; non seulement chaque manœuvre est osée, mais en plus elle se matérialise de la plus belle des manières. C’est le cas pour l’alliance de la modernité – avec des effets spéciaux à la pointe – et de la nostalgie. L’action se déroule en 1979 et l’esthétique du film toute entière a été pensée en conséquence, avec son tournage sur pellicule 35mm, son grain expressif, ses lens flares fortuits et saillants. Tout cela donne au film une vibration physique, une chaleur à mille lieues du numérique propret et facilement atone.
Super 8 fait également dialoguer une chronique intime et une épopée titanesque, un récit à hauteur d’enfants et une composante horrifique prononcée, les univers d’Abrams et de Steven Spielberg. Le lien entre les deux artistes sur ce projet dépasse de loin l’apposition au générique du nom du second comme producteur, statut fourre-tout qui à Hollywood peut signifier tout et rien. L’esprit du cinéma de divertissement tel que le conçoit Spielberg habite Super 8, de façon évidente dans son rapport de filiation directe avec deux films, E.T. et La guerre des mondes. Super 8 leur doit beaucoup en matière de scénario, bien sûr, mais ce qu’il leur emprunte avant tout est leur conception généreuse et spontanée du film d’aventures à grand spectacle et à grands frissons en tous genres. L’enchantement de Super 8 tient en une formule simple : tout ce qui est sophistiqué et complexe est camouflé, et tout ce qui est présent à l’écran est fulgurant et cristallin. La toile tissée par Abrams est immense, mais de cette intrigue aux multiples enjeux (un manifeste par personnage, à la manière d’une série TV) et embranchements, ce qui nous parvient surtout est le rythme haletant créé par les sauts permanents du récit d’une piste à une autre.
Des garçons – et une fille – d’une dizaine d’années qui tournent un film de zombies amateur en super 8 ; des phénomènes mystérieux qui se multiplient à la suite du déraillement d’un train au chargement secret ; l’armée qui débarque pour étouffer l’affaire et la police locale qui au contraire tente de lever le voile ; une rancœur puissante entre deux pères qui interfère avec le début de romance vécu par leurs enfants respectifs, qui se développe sur le tournage du film dans le film… Abrams exploite à merveille cette abondance en ne gardant que le plus intense et excitant de chaque veine de son réseau narratif. Comme il sait tout faire, de l’examen des drames domestiques tus aux digressions comiques, des tours de grand huit pyrotechnique infernal aux conversations intimes à deux personnages, il ne nous frustre jamais en quittant un domaine pour un autre. Comme il est très intelligent, il sait quels éléments garder en réserve, et quand les divulguer aux personnages ou au public de sorte que le récit avance dans un mouvement unique et formidable, sans à-coups, vers son final. Lequel final est plus qu’à la hauteur des efforts déployés pour le mettre en orbite : il fixe une nouvelle référence quant à ce que peut être un véritable climax de cinéma, un instant de grâce et de complétude merveilleux, absolu, qui fait pleinement sens et dans le même temps nous émeut profondément.
Cette consécration finale est aussi celle des personnages. Abrams prend soin de les impliquer tous au moment du dénouement, et de le faire de manière positive. Les américains ont une expression dédiée pour ce genre de geste : character payoff. Il s’agit de respecter, et même d’aimer les protagonistes de son œuvre autant que s’ils étaient réels plutôt que de les traiter comme des pantins au service de la progression d’un scénario. Il y a des automates de ce genre dans Super 8, en la personne des militaires. Mais ils sont présentés comme tels d’entrée et il n’est jamais question d’en faire plus que des rouages accessoires. L’attention se focalise sur tous les autres, les habitants de la ville et leur énigmatique visiteur descendu du train. Super 8 rayonne de la sympathie et de la tendresse qu’il leur porte. C’est un film exceptionnellement anti cynique, porteur d’un premier degré indéfectible qui le rend également très fragile. Il n’arbore aucune des carapaces vendues en série à Hollywood, du genre distanciation narquoise ou niaiserie débilitante. La sincérité et l’intégrité sont ses deux fils directeurs.
La plus belle preuve en est l’écriture des préadolescents apprentis cinéastes. Au centre de la toile du récit – tandis que les éclats spectaculaires, aussi brillamment exécutés soient ils (et le déraillement du train et ses congénères sont au firmament du savoir-faire en la matière), restent des compléments de second plan – ceux-ci sont les héros de Super 8 sont les plus beaux représentants de leur âge au cinéma depuis une éternité. Ni décalques d’adultes flottant dans des dialogues trop grands pour eux, ni bébés pleurnichards et incapables. Ils ont encore un pied dans l’enfance, sa réceptivité accrue au fantastique, son appétit pour l’aventure, son don de soi dans un projet sans recul. Dans le même temps grandissent déjà en eux la conscience et la tristesse qui vont de pair avec la maturité. Ces personnages concentrent ainsi tout ce que Super 8 a de plus puissant et touchant, qu’il s’agisse de la réponse aux émotions complexes du deuil ou de l’amour1, et de l’imbrication très habile entre les événements réels et leur propre fiction d’amateurs en cours de fabrication. Ce dernier motif revêt un caractère très personnel pour Abrams, qui a commencé en tournant des films en super 8 avec ses copains devenus des collaborateurs réguliers (entre autres, le producteur et le directeur de la photographie de Super 8). Mais sa portée va bien au-delà, par la manière dont il est porté à l’écran, avec ce remarquable système d’échos qui est mis en place – les héros impriment sur la pellicule leurs fantaisies ; celles-ci sont dépassées par la réalité ; les héros filment alors la réalité, devenue film de monstre mille fois plus fou et plus beau que leurs scripts. Ainsi Abrams, par la conjonction de ses souvenirs d’enfant et de sa créativité d’adulte, (re)fait nôtre ce rêve d’enchanter la réalité par le biais de l’imagination, de donner un sens à nos douleurs et à nos joies.
1 le choix de confier le rôle féminin à la déjà expérimentée Elle Fanning (une vingtaine de rôles au cinéma et à la télévision dont le dernier en date est Somewhere) face à un groupe de garçons tous débutants ou presque, et d’utiliser cette différence d’assurance pour faire ressortir celle existant entre les personnages, est à ce titre une idée superbe