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- Solaris, de Steven Soderbergh (USA, 2002)
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A la maison, en DVD
Quand ?
Lundi soir
Avec qui ?
MaFemme et MonFrère
Et alors ?
Toujours en quête d’une expérimentation nouvelle à laquelle se confronter, Steven Soderbergh avait trouvé un défi à sa hauteur quand il s’est attaqué il y a bientôt dix ans de cela au projet de reprise de Solaris, film monumental d’Andrei Tarkovski tiré du roman de Stanislaw Lem. Soderbergh sort à ce moment de sa période la plus faste (si tant est qu’il ait eu des périodes creuses…), avec six longs-métrages en quatre ans dont les fameux Traffic et Ocean’s Eleven qui l’ont porté au sommet. Il prend alors la tangente, comme à son habitude pour repousser le risque de finir enfermé dans un carcan étriqué et prédéterminé, mais cette fois de manière radicale puisqu’il met à bonne distance le présent, la Terre, le réalisme. Solaris nous emmène dans un futur indéterminé mais suffisamment lointain pour que les avancées de l’humanité l’aient amenée à pouvoir poster une station spatiale habitée en orbite d’une planète distante de plusieurs années-lumière de la nôtre, Solaris. Le récit débute alors que toute communication avec l’équipage scientifique de la station a été coupée, à l’exception d’un ultime message de détresse envoyé par l’un de ses membres à son ami et collègue Chris Kelvin, qu’il considère comme étant le seul à même de comprendre et de résoudre le péril mystérieux auquel ils sont confrontés.
Ce message, et le départ de Kelvin pour Solaris qu’il provoque effectivement, viennent interrompre un prologue sec, heurté, fait d’instantanés du quotidien solitaire de Kelvin – routine intemporelle (métro-boulot-dodo) qui renvoie dans le flou de l’arrière-plan l’univers de science-fiction. Soderbergh s’empare de ce genre si particulier avec une aisance à rendre jaloux, en parsemant l’écran de détails et (surtout) d’impressions futuristes véhiculées par les sons, les décors, les couleurs. C’est tellement simple pour lui qu’en plus de mettre en place le cadre, il peut en plus au cours de ces quelques minutes installer la tonalité du récit, ce qui va en être l’élément obnubilant : le vide intérieur du personnage, sa solitude sans bornes dont l’on apprendra la raison plus tard. Kelvin, psychiatre de son état et donc héros du film, est interprété par un George Clooney qui, à l’époque, accède comme son compère Soderbergh au faîte de sa notoriété. A posteriori, Solaris apparaît pour l’un et l’autre comme le prélude manifeste au jeu de contrepied permanent qu’ils vont pratiquer par la suite, et qu’ils pratiquent aujourd’hui encore. Le montage éclaté et la réalisation éthérée du cinéaste ont leurs jumeaux dans son récent Girlfriend experience ; Kelvin ouvre pour l’acteur une longue liste de personnages torturés, ambivalents et mutiques, dont The american est la dernière entrée en date.
L’énigme de Solaris est levée dans les minutes qui suivent l’arrivée de Kelvin à bord de la station, et ses premiers échanges glaciaux et franchement dérangeants avec les scientifiques encore en poste. « I could tell you what’s happening, but I don’t know if it would really tell you what’s happening » : en accord avec cette déclaration de l’un des membres de l’équipage, rien du pouvoir de l’astre ne transpirera dans les lignes de cette critique. Il est largement préférable de le découvrir soi-même, pour saisir toute la portée de ses implications sur notre conception de la mort, de Dieu, de ce que peut être une forme de vie intelligente différente de notre modèle. Atteindre Solaris, c’est voir s’effriter toutes ses bases philosophiques. Face à cela la beauté du film vient de son épure, à la fois très cartésienne – Soderbergh s’en tient de manière stricte à des faits, des observations – et très modeste. Il n’y a pas de réponses, ni même de théories (qui resteraient indémontrables, et qui amènent la tentation d’énoncer des réponses) mais uniquement des questions, des « choix » comme l’affirme un personnage. Ce Solaris américain nous envoûte d’une manière différente de celle de son prédécesseur russe ; par la suggestion plutôt que par la formulation. En accord avec la forme qu’il a choisie – un film concis, fait de scènes concises –, Soderbergh fait avancer son propos par petits touches, sans rien imposer et en laissant une large part à notre interprétation, notre ressenti. Son approche de Solaris est plus musicale que verbale. Il fait ainsi des compositions entêtantes de Cliff Mansell l’unique forme d’expression de la planète, entretenant le mystère sur qui (ou quoi) est à l’origine de ces émotions et de ces manifestations.
Le langage n’est pas approprié par Solaris, qui a la musique ; mais il est dans le même temps délaissé par les humains, qui glissent dans le silence. Les rapports sommaires entretenus entre eux par les passagers de la station ne font rien d’autre, en définitive, qu’approfondir le sentiment de délitement irrattrapable des relations humaines que traduisait la vie de Kelvin sur Terre. Soderbergh ne fait pas du progrès technologique la cause de ce phénomène ; simplement son enrobage assez confortable pour abolir tout désir de révolte. La complexité de conception des machines et l’éventail de leurs capacités pourvoient, en surface, à nos besoins d’occupation. Mais elles sont impuissantes à générer ou véhiculer une quelconque forme d’interaction humaine. Seul le langage le peut, essentiellement à travers son expression noble que constitue l’art ; c’est au moyen d’un poème (« And death shall have no dominion ») que Kelvin avait séduit sa femme, décédée au moment où le film prend place. Cette piste, lumineuse, du tandem art / sentiments choisie comme issue par Soderbergh est la raison qui fait de son film une œuvre plus intimiste, moins majestueuse que la version de Tarkovski. Un film d’amour, un grand ; romanesque et poignant, presque parfait (on peut déplorer les quelques artifices scénaristiques de la conclusion), et de loin le plus sensible qu’a pu faire Soderbergh, d’habitude si cérébral. Comme quoi la science-fiction et la philosophie mènent à tout.