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- Skyfall, de Sam Mendes (USA-Angleterre, 2012)
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Au Pathé Wepler
Quand ?
Mercredi soir, à 21h
Avec qui ?
Des amis
Et alors ?
Hier, au 20è siècle, James Bond était un demi-dieu, tour à tour élégant, décadent ou flamboyant selon les périodes. Aujourd’hui, sous les traits de Daniel Craig (mais l’acteur n’y est pas forcément pour grand-chose), il est formellement déchu de ce rang et ramené parmi le commun des mortels. Cette dévalorisation fut amorcée par Casino Royale, où l’agent 007 cravachait pour calquer son attitude et ses actions sur les modèles d’action hero des années 2000, Jack Bauer et Jason Bourne. Elle est parachevée par Skyfall, proposition tristement sérieuse, prosaïque, fonctionnelle. Plus numéro que jamais, Bond y est victime du management moderne qui ne jure que par des choses quantifiables, grilles de compétences, évaluations, cases où positionner les individus afin de maximiser leur rendement. Ce qui déborde, qui permet de faire germer un grain de folie ou d’imprévu, est soit supprimé (les gadgets, remplacés par des armes standardisées), soit vu comme une déficience que l’on se fait fort d’expliquer, de rationaliser. Le caractère frondeur de l’électron libre 007 est ainsi diagnostiqué comme du « refus de l’autorité », conséquence d’un « trauma d’enfance non résolu » – que le dernier acte du film viendra révéler et guérir, faisant ainsi de l’agent un élément enfin pleinement opérationnel pour son employeur.
Transformer Bond en simple soldat, avec d’assez communs tourments requérant une thérapie, n’est pas en soi un mal. Mais cela crée un grand vide en termes d’intérêt du film, qu’il est nécessaire de combler par d’autres composantes du récit. Et là est le problème, car Skyfall n’est qu’opportuniste, un produit sans intentions et seulement une ambition : celle de prendre une place à la table des grands films d’action de ce monde. Pour cela, le moyen le plus élémentaire est de suivre le vent dominant (comme à l’époque de Casino Royale), et aujourd’hui ce vent dominant est celui de la gravité et de la noirceur des Batman de Christopher Nolan. Skyfall embraye donc en ce sens, avec si peu de subtilité que la plupart de ses initiatives relèvent distinctement du plagiat. Bond se retrouve avec des parents morts alors qu’il était enfant, et un manoir familial à l’abandon gardé par un domestique dévoué ; le méchant de service est pour l’essentiel copié sur le Joker, défiguré et le dissimulant, se plaisant à répandre le chaos, se faisant capturer à dessein, se déguisant lui et son équipe en policier pour une de ses opérations, etc., la liste est longue.
Skyfall se rêve en Dark knight (c’est particulièrement évident lors d’une séquence en montage parallèle à travers Londres, entre les locaux du MI6, le métro et une salle d’audience). Mais il n’en a ni la démence, ni l’ambiguïté, et le Batman qui lui correspond est le médiocre Dark knight rises. Les deux films ont beaucoup en commun, dans les rouages de leur intrigue – avec un méchant mû par une inintéressante soif de vengeance, et dont l’intelligence est très variable en fonction de ce qui arrange le plus les scénaristes : génie du crime au milieu du film, brute sans cervelle ensuite – et dans leur vision du monde. Celle-ci est réac et droitière au possible, et la franchise 007 n’a rien à gagner à se joindre aux rangs des films estampillés « sérieux » et « réalistes » si c’est à ce prix. En devenant plus terre-à-terre qu’elle ne l’a jamais été, elle perd son insouciance. Le manège exubérant du jeu du chat et de la souris entre Bond et un méchant mégalo évolue en un strict cas d’espèce de la proverbiale guerre contre le terrorisme, avec tout ce que cette doctrine charrie de manichéisme anxiogène et de nationalisme rigide. Arrive un moment où Skyfall se fend même, par l’intermédiaire de M, d’un monologue (qui restera sans contradiction) en forme de plaidoyer pour le Patriot Act et autres matraquages de menaces et de peur.
Cet épisode ne vaut pas mieux sur le plan humain, avec son trio de femmes à qui il n’apporte que régression et désaveu. La James Bond girl sera supprimée en arrière-plan, jetée comme un accessoire insignifiant une poignée de minutes après qu’on lui a pourtant donné un passé tragique ; la coéquipière de 007 dans la première scène acceptera docilement sa rétrogradation à un emploi de secrétaire de bureau, laissant les mâles en découdre seuls sur le terrain ; et M, après avoir enchaîné les mauvaises décisions, s’en remet entièrement à Bond dans le final, à la suite de quoi elle sera remplacée par… un homme. Ignorant les femmes ou leur faisant jouer les utilités, les James Bond n’ont jamais été un modèle, mais l’affirmation autoritaire de la domination masculine à l’œuvre dans Skyfall repousse toutes les limites. C’est bien le seul domaine dans lequel le film se distingue vis-à-vis de ses prédécesseurs.
Tout cela étant, la lumière (œuvre de Roger Deakins) et la chanson du générique (signée Adele) sont très belles.