• Retour vers le futur I-II-III, de Robert Zemeckis (USA, 1985-1989-1990)

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Le troisième épisode de Retour vers le futur rend les choses claires : la trilogie imaginée par Robert Zemeckis et son compère Bob Gale (producteur et coscénariste) raconte l’Amérique moderne, ses racines et ses fondements immuables. Ce récit se fait de manière oblique, ludique et virtuose – Zemeckis n’a jamais su œuvrer différemment, que ça passe comme dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Forrest Gump, et ses dernières créations animées (La légende de Beowulf, Le drôle de Noël de Scrooge) ; ou que ça casse, ce qui advint pour le 1941 de Spielberg, horriblement mal reçu à sa sortie, dont Zemeckis et Gale avaient écrit le scénario. Ce revers et ceux des premiers films de Zemeckis réalisateur firent que Retour vers le futur n°1 se trouva d’abord rejeté de toutes parts, le cinéaste n’étant pas bankable et son projet étant considéré comme trop soft au regard des canons du teen-movie de l’époque. Ce refus met en exergue les travers de l’époque en question, que l’on peut regrouper en un terme : obscène. Attitude que Retour vers le futur échouait donc à adopter suffisamment dans un domaine, celui du graveleux, mais qu’il embrassait pleinement dans au moins deux autres. D’une part, la croyance que les possessions matérielles sont une preuve valable et suffisante d’accomplissement personnel, et que plus elles sont imposantes et ostentatoires, plus belle et enviable est l’existence (l’épilogue du film est sur ce point proprement édifiant) ; de l’autre, un simplisme géopolitique qui rend indissociables les mots méchant et étranger (les très vagues et très ridicules « terroristes libyens »).

Heureusement, ces scories héritées du monde autour du film restent accessoires, et donc très peu gênantes. Leur place est réduite à la portion congrue car Retour vers le futur déborde du talent d’entertainer de Zemeckis, qui est presque aussi démentiel que celui de la référence Spielberg. L’un comme l’autre savent amener à son apogée l’art du divertissement, et nous le présenter sous sa forme parfaite, plastiquement et narrativement. Ce second aspect est le plus invisible, et pourtant le plus important. C’est l’efficacité d’un scénario qui fait avant tout la valeur d’un film d’aventures ; les effets de manche esthétiques sont le vernis que l’on appose par-dessus, par plaisir ou par défi. Tout au long de la trilogie Retour vers le futur les effets visuels sont ciselés, inventifs, déliés ; mais surtout économes, motivés, pleinement intégrés au récit. Ils sont (et ont toujours été pour Zemeckis) un outil, un renfort extrêmement puissant qu’il s’agit d’employer au service d’autre chose que leur propre grandeur. Plus généralement, c’est toute la mise en scène de Zemeckis qui est guidée par l’intention noble de rendre le film meilleur en tout – plus intense, plus évident, plus échevelé… – sans tirer la couverture à elle. Dans leur forme, les Retour vers le futur sont des ouvrages à la perfection secrète, qui ne se distingue que par transparence.

Le script de Retour vers le futur 1 est une pure merveille, irrésistible et irréprochable à tous points de vue : son rythme, sa cohérence, l’évidence de ses enchaînements, la limpidité avec laquelle il tisse plusieurs intrigues puis les fait se rejoindre avec une aisance lumineuse dans son grand final. Lequel n’a pas peur de démarrer très tôt – l’heure de film à peine derrière nous –, à raison : aucun essoufflement, même infime, ne se fait sentir dans ce marathon de péripéties épiques couru à un train de sprint. Il faut chercher du côté de Spielberg (Indiana Jones et le Temple maudit, Tintin) pour trouver quelqu’un capable de soutenir une telle cadence infernale sur une durée plus grande encore. Zemeckis reproduira la même stratégie, couronnée d’une réussite similaire, dans le troisième épisode de la série qui présente lui aussi ce rendement ahurissant, avec un climax presque aussi long que sa mise en place. Pour Retour vers le futur 2, par contre, c’est la première heure qui laisse sans voix. On y assiste à l’un des plus brillants exercices d’expansion d’un sujet de récit, avec d’entrée cette accumulation de sauts dans le temps qui, par ricochet, démultiplie le nombre d’époques visitées et altérées. L’escalade donne le vertige tout en restant d’une lisibilité totale, y compris lorsque des versions parallèles d’une année se mettent à advenir.

Ce deuxième volet se distingue également des autres par l’émergence d’une noirceur de ton bienvenue – elle apporte un supplément de matière à la partie dramatique de l’intrigue – et bien exploitée. Gale et Zemeckis s’engagent pleinement dans la brèche de la variante cauchemardesque de 1985, l’agrémentant d’une foule d’idées lugubres et menaçantes. On en vient presque à regretter qu’ils ne poussent pas plus loin leur percée, bifurquant vers une piste plus expérimentale (c’est bien) mais aussi plus neutre (c’est moins bien). Le dernier acte de Retour vers le futur 2 relève presque de la performance conceptuelle. Les scènes en sont soit reprises à l’identique du premier film, avec un point de vue légèrement différent, élargi, soit viennent se glisser dans les interstices du montage, dont elles remplissent les ellipses. Le résultat est épatant, parce que viable, irréprochable techniquement, et unique en son genre. Par un processus que l’on pourrait définir comme une sorte de clonage enrichi, un film a été enfanté à partir d’un autre, a posteriori, en respectant l’intégrité de son modèle tout en adjoignant à celui-ci de nouveaux éléments. Cependant, comme pour tout clone, l’éclat de la prouesse est terni par le relatif déficit d’âme de l’entité créée : la fin de Retour vers le futur 2 déroule un programme déjà vu, et a donc un impact émotionnel moins fort que le reste du film, et le reste de la trilogie.

Et l’Amérique, alors, dans tout ça ? Si le choix de l’année centrale du récit, 1985, est en partie le fruit du hasard, il n’en est rien pour les deux périodes visitées dans le passé. 1885 et 1955 correspondent l’une et l’autre à des moments fondateurs de l’histoire et de la mythologie (les deux étant intimement mêlées) des USA, la conquête de l’Ouest et l’émergence de la culture pop contemporaine – culture dont 1985 peut être vue comme le moment du triomphe, après la parenthèse de la contreculture des décennies 60 et 70. Le souci de simplicité narrative de Zemeckis et Gale les conduit à reconduire à chacune de ces marques temporelles des lieux et des personnages identiques. Seule l’unité de temps du récit est infléchie, les deux autres (lieu et action) restent. Ainsi l’œuvre prend valeur de symbole en plus de tous ses autres atouts. Retour vers le futur raconte un siècle d’Amérique, avec ce qui a changé – pour l’essentiel le cadre matériel de l’existence – et ce qui s’est perpétué à l’identique ou presque, à savoir le cadre humain : liens familiaux, aspirations et rivalités. L’exposé est d’une grande finesse, et développé de la plus légère des façons ; en filigrane de la folle odyssée à travers le temps.

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