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- Prometheus, de Ridley Scott (USA, 2012)
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Au Max Linder Panorama, puis à l’UGC Normandie (quand on aime, on ne compte pas)
Quand ?
Vendredi soir, à 22h et lundi soir, à 19h30
Avec qui ?
Mon compère de cinémathèque la première fois, et MonFrère et sa copine la deuxième
Et alors ?
Comme les chats, Ridley Scott a visiblement neuf vies, puisqu’il trouve toujours à se rétablir au sommet peu importe l’ampleur et la quantité de films médiocres qu’il accumule. Après les deux chefs d’œuvre Alien et Blade runner, après Thelma & Louise, Gladiator, La chute du faucon noir et Kingdom of heaven (dans sa director’s cut), Prometheus est la septième de ces vies, ce qui à 74 ans lui laisse encore de quoi voir venir. Pourtant, suite à son quatuor de misère de ces dernières années commis en association avec Russell Crowe (Une grande année – American gangster – Mensonges d’état – Robin des bois), on n’attendait plus rien ou presque de Scott. L’annonce de Prometheus, vrai-faux prequel d’Alien, puis les premières images avaient malgré tout réveillé espoir et intérêt (voir ici et là). Encore fallait-il concrétiser cela, une mission qui s’avère accomplie brillamment.
Le lien de paternité alambiqué entre Prometheus et Alien est de la même nature que celui qui unissait les versions 2011 et 1982 de The thing. On a affaire à un hybride de prélude, dont le récit prend place dans le même univers, quelque temps plus tôt, et de remake, puisque les rouages de la narration et du spectacle sont volontairement repris à l’identique, ou sous forme de variantes très fidèles. Là où leurs destins diffèrent, c’est que The thing n’arrivait jamais à dépasser sa nature ambivalente, comme s’il restait vaguement honteux de s’attaquer à un monument de la S-F horrifique et ne pouvait dès lors concevoir de sortir de l’ombre de celui-ci. Ce genre de scrupules est étranger à Ridley Scott et à ses scénaristes. Eux pénètrent le mausolée Alien, profanent les sépultures, embarquent les corps pour les débiter en tranches et les recomposer comme bon leur semble. La trame familière reconduite pour Prometheus (un vaisseau spatial et son équipage composite débarquent sur une lointaine planète) est un terreau idéal à ce genre d’expérience sans limites ; puisque cette nouvelle terre à explorer est parfaitement inconnue et étrangère, on peut bien y mettre ce que l’on veut comme environnement et particularismes. Énième descendant de cette lignée des récits de grandes découvertes, Prometheus se plaît à en prendre le mythe à rebrousse-poil : ce sont les fiers pionniers qui dérouillent, contractant des infections exotiques à la chaîne et, pour les rescapés, prenant méchamment la pleine mesure de leur condition d’espèce inférieure dans la biosphère du coin.
Voilà à peu près tout ce que l’on peut dire du scénario sans mettre le doigt dans l’engrenage des spoilers. Prometheus en est rempli, car il est d’une générosité immense dans son rôle de divertissement à grand spectacle – tout en se montrant particulièrement fataliste sur notre nature humaine, et sans illusions quant à notre capacité à réellement maîtriser le cours des événements. L’alliage de ces deux contraires apparents est terriblement efficace. Il fait de Prometheus un film « bac à sable », comme on le dit d’un certain genre de jeux vidéo (Populus, Sim City et leurs héritiers) où la vie est créée, puis encouragée ou bien empêchée à des seules fins d’expérimentation et de jeu. Il est tout à fait vrai, comme on peut le lire dans les avis négatifs sur Prometheus, que ses personnages sont dotés d’une consistance a minima, et que les choses empirent encore dès lors qu’il s’agit de les faire interagir entre eux – il n’y en a pas un pour exprimer de l’intérêt, de la méfiance, de l’inquiétude à propos de ce que peuvent être en train d’endurer ou de manigancer leurs pairs. Il ne s’agit pas d’une démonstration d’incompétence, mais de l’expression d’un dessein réfléchi, celui de réduire les participants à l’aventure à un rôle utilitaire, sacrificiel. Chacun est là uniquement pour être la victime chétive d’une des scènes d’action et/ou d’horreur qui forment le parcours du train-fantôme Prometheus, extravagant et sauvage.
En plus de faire l’effet d’une bouffée de liberté au sein de l’univers guindé des blockbusters qui nous veulent trop de bien (cf. le cas récent des Avengers où il n’arrive rien de grave à qui que ce soit parmi les héros), cette cruauté affirmée tient la route dans ce qui la fonde : non pas un cynisme moqueur, mais un rude pragmatisme pensant qu’il y a autant de motivations (souvent contraires) que d’individus, que l’instinct de survie est la seule chose qui soit réellement partagée, que le véritable héroïsme ne mène qu’à une mort certaine. Sur ces bases, de la même manière que l’humour est la politesse du désespoir, Prometheus fait du spectacle l’exutoire de son pessimisme. C’est tout le contraire d’une œuvre abattue : il s’en dégage de bout en bout une créativité bouillonnante, une énergie fantastique, une volonté farouche d’en découdre et de charger. Le tout porté par le talent retrouvé de Ridley Scott, auteur ici d’une symphonie visuelle ténébreuse et de toute beauté. Son sens du décor (extérieur comme intérieur, dans leur élaboration comme leur occupation) ; de l’action (les scènes concernées concilient à merveille violence et lisibilité) ; de l’usage des effets spéciaux (toujours saisissants, jamais ostentatoires) est admirable, et apporte à Prometheus l’efficacité formelle à même de le rendre irrésistible.
Le film coupe à travers les virages, tranche dans le vif des scènes d’exposition ou de suspension, se grise d’ellipses qui lui permettent de se propulser de sommet en sommet sans jamais redescendre dans la plaine. Et il a raison d’agir ainsi, quitte à faire une croix sur la profondeur des personnages et l’essor de leurs destins, car il n’est jamais à court de sommets formidables dans son vaste bac à sable, avec pour Everest l’incroyable séquence du MediPod. La mythologie Alien compose bien sûr l’essentiel du matériau de base, mais Prometheus va aussi piocher un peu partout dans la S-F des motifs et des références qui l’inspirent. De tous ces brins d’ADN venant d’Alien et d’ailleurs, il propose un réagencement à sa sauce, une chimère déraisonnable et instable – jamais fixé, le récit passe son temps à se désagréger pour renaître sous une autre forme tout aussi éphémère. On assiste au déroulement non entravé, à la fois terriblement grisant et inquiétant, de l’expérimentation d’un savant fou ; par exemple un de ces « Ingénieurs » qui habitent le film. Ainsi la rupture est consommée avec la série des Alien, puisque contrairement à ceux-ci Prometheus n’épouse pas un point de vue humain mais extraterrestre, et ennemi.