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On rigolait bien aux USA au début des années 1980. Il y avait alors – déjà – le Saturday Night Live, et ses dérivés grandioses tels que The Blues brothers. Il y avait aussi, sur le trottoir d’en face, le trio ZAZ pour Zucker (David) – Abrahams (Jim) – Zucker à nouveau (Jerry cette fois). Airplane ! / Y a-t-il un pilote dans l’avion ? les a révélés en 1980, et la trilogie Naked gun / Y a-t-il un flic pour sauver… leur a permis de renouer avec le succès et de capitaliser dessus (et de tirer un peu trop sur la corde). Entre les deux, les ZAZ ont eu droit à leur œuvre « maudite », qui est peut-être en même temps leur meilleure même s’il faut manier avec soin ce genre d’affirmation dans un tel contexte – les infortunes subies par une création pouvant pousser à en embellir les attraits.
Il n’empêche que Police squad ! est un prodige de comédie. Développée par le trio pour la chaîne ABC à la suite du succès de Airplane ! (notez la continuité dans l’usage du point d’exclamation), cette sitcom pastiche les séries policières old school, des années 1950-60[1]. Elle ne tiendra que le temps de six épisodes avant d’être annulée, pour une raison qui a sa place au panthéon du cynisme télévisuel bas de plafond : « the viewer has to watch it in order to appreciate it » (source Wikipedia). Derrière la lapalissade se cache l’ancêtre du « temps de cerveau disponible » de TF1, nourri de la même obsession que les spectateurs ne réfléchissent surtout pas trop par eux-mêmes devant leur poste. Police squad ! prêche effectivement le contraire, avec son bombardement incessant et intégral de gags. Le concept même de temps mort est nié, la boulimie des auteurs entraînant le surgissement de gags à tous les niveaux de lecture de la scène (régulièrement en surimpression les uns des autres), dans l’image, dans la bande-son, dans l’interaction entre les deux. Il y a un effet de saturation complète de l’espace de l’épisode par l’humour absurde et nonsensique. L’enquête est à chaque fois réduite à peau de chagrin, et en plus noyée dans le bruit généré par la masse d’idées annexes parasites – annonce au générique d’acteurs ne jouant en réalité pas dans l’épisode, double titre (un écrit et un dit par la voix-off), digressions constantes…
Même dans le vague cadre fixé par l’intrigue, le délire est omniprésent, souverain ; il charge de toutes parts. Jeux sur les mots pris au tout premier degré (un jardin japonais devient un jardin avec des japonais immobiles dans des pots de fleurs, une investigation dans Little Italy est prétexte à l’apparition en arrière-plan du Colisée ou de la Tour de Pise), démonstrations d’incompétence et d’ahurissement des protagonistes (Leslie Nielsen, rencontré par le fait du hasard par les ZAZ pour Airplane !, est le prolongement humain parfait de l’humour de ces derniers sur ce point), illogismes narratifs ou visuels frontalement exhibés et déroulés jusqu’à épuisement (l’ascenseur qui ouvre sur une piscine ou une scène de spectacle avant d’arriver à l’étage des bureaux de la police, les perruques superposées les unes aux autres par une suspecte) : tous les moyens sont bons pour faire dérailler la réalité, la raison, et alimenter la machine à gags de sorte qu’elle soit en surrégime permanent.
Police squad ! renaîtra ultérieurement de ses cendres au cinéma, via les Naked gun dont le héros est le même Frank Drebin / Leslie Nielsen. Mais c’est sous sa forme télévisuelle qu’elle enchante le plus, car les principes d’enchaînement des épisodes et de l’instauration de points communs entre eux ouvrent un autre front comique que les ZAZ prennent d’assaut avec délectation. La série repose en grande partie sur un système de running gags d’un épisode à l’autre : l’introduction de l’affaire, les visites au laborantin vicieux et à l’informateur omniscient, les poubelles renversées par la voiture (dont le nombre correspond au numéro de l’épisode), la fausse image figée finale, etc. Le rire devient cumulatif, entropique, exponentiel. Oui, on rigolait bien aux USA au début des années 1980. Les rois de la comédie américaine de ce début de 21è siècle, les Apatow, Stiller, Ferrell, Carell et autres, avaient alors entre 13 et 17 ans. Leur adolescence a été biberonnée à ce bouillonnement de génie comique ; il n’est pas compliqué de trouver d’où viennent leur inspiration et leur patte.
[1] mais le genre en question est tellement mort-vivant, un véritable zombie, qu’il continue à exister et prospérer aujourd’hui encore sous l’exacte même forme…