• Old boy, de Spike Lee (USA, 2013)

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Où ?

Au Publicis cinéma

Quand ?

Lundi soir, à 22h, pour ce qui a été l’une des dernières séances parisiennes du film, aussi massacré dans sa distribution que dans son montage (plus d’une demi-heure coupée par le studio)

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Des fois, on se demande vraiment ce qui passe par la tête des décideurs des studios hollywoodiens au moment de valider un projet de remake. Old boy a beau avoir reçu l’onction de Quentin Tarantino lui remettant le Grand Prix du Jury à Cannes, il n’y est question que de séquestration, de torture, d’inceste, tout cela infligé par un personnage à un ou plusieurs autres de manière froidement calculée. C’est donc évidemment intenable commercialement, chose que le seul à avoir compris suffisamment tôt semble être Spike Lee, qui à aucun moment ne cherche à réaliser un thriller lambda, prêt à la consommation de masse dans les multiplexes. Le cinéaste traite par-dessus la jambe tout l’enrobage de Old boy, son mystère et la résolution de celui-ci au fil de l’enquête menée par les protagonistes. Quand les scènes ne sont pas bâclées ou laides, c’est que Lee s’y amuse avec la nature bâtarde de son film, recréation d’une investigation déjà résolue, d’un secret déjà révélé à l’essentiel de son public – du réchauffé, donc. Alors il lance une fausse piste par-ci (la fille violoncelliste), brusque les choses par-là (la présentation au grand jour du méchant dès la mi-récit), ajoute en fin de parcours une astucieuse couche à la manipulation (l’émission de tv). Mais il n’y investit aucune part de lui-même. La reprise de Old boy par Spike Lee n’est pas un remake pour consommation mais un remake par fascination, comme l’était la reproduction fétichiste de Psycho par Gus Van Sant.

Lee s’intéresse à ce qui se tapit au fond du film original de Park Chan-wook : une unholy trinity constituée de la perversité, de la sauvagerie, de l’asservissement d’autrui, et qui règne sans partage sur l’intégralité du monde dans la vision du metteur en scène américain. La perversité se niche dans la pureté des prénoms donnés aux héros (Joseph et Marie) et dans la sensualité de leur scène de sexe, quand l’on ce qu’il en est réellement de leur relation. La sauvagerie s’étend sur un domaine bien plus vaste, chaque face-à-face entre deux individus masculins tournant au duel de fauves, avec Lee qui les filme comme tels. La force brute est la seule jauge qui vaille pour déterminer qui s’imposera à l’autre – et il est hors de question qu’il n’y en ait pas un des deux qui s’impose à l’autre. Ce combat bestial permanent ne connait aucune des limites civilisées communément reconnues. La torture répond à la torture, Joseph répond aux vingt années d’emprisonnement qui lui sont infligées par un affermissement exponentiel de son corps et de ses capacités physiques, qui le transforme en une prodigieuse machine à tuer. Le fameux plan-séquence du carnage dans le couloir, ici astucieusement démultiplié sur trois niveaux par Lee, avait pour finalité de faire exploser à l’écran cette mutation monstrueuse du personnage – avant qu’Universal ne le charcute lamentablement dans le dos du réalisateur.

L’asservissement, enfin. Possiblement la thématique fondamentale du film, en compagnie de son corollaire qu’est le formatage d’autrui obtenu au moyen de cette contrainte. Lee paraît fasciné par cette notion, et décidé à nous transmettre cette fascination via des plans d’une grande force, et d’une grande violence car l’humanité des êtres s’y efface une fois de plus au profit de la seule animalité. Le maintien de Joseph en captivité durant deux décennies a permis à son geôlier de faire se développer chez lui des réflexes pavloviens irrépressibles, en réponse à des stimuli sensoriels précis. Le goût des raviolis chinois dont on l’a nourri quotidiennement provoque chez lui l’envie de s’en goinfrer ; le son du violoncelle que l’on a associé au souvenir de sa fille perdue suffit à lui fendre le cœur et à le faire fondre en larmes. C’est de dressage dont il s’agit, comme pour une bête de cirque. Mais c’est avec un autre personnage que la technique est portée à son paroxysme par le méchant de Old boy, ainsi que nous le révèle le dénouement. Un être laissé en apparence en liberté, dans un environnement dont chaque composante est en réalité contrôlée et manipulée afin de pousser le cobaye dans un schéma comportemental rigide et répondant intégralement aux attentes du marionnettiste. Lequel a donc créé un pantin sans attaches visibles, et pourtant sans libre-arbitre, à tout jamais.

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