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- Möbius, d’Éric Rochant (France, 2013)
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À l’UGC Maillot, en avant-première (le film sort ce mercredi 27 en salles)
Quand ?
Dimanche soir, à 20h
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
Parmi les réalisateurs français en activité, Éric Rochant est celui qui se rapproche le plus de la figure du cinéaste maudit. Möbius marque en effet son retour au premier plan près de vingt ans après en avoir été éjecté. Porté aux nues avant ses trente ans pour son coup d’essai Un monde sans pitié, Rochant fut éreinté quasiment dans la foulée à propos des Patriotes, qui devait être un premier sommet de sa filmographie mais dont la réception tourna au cauchemar. Il a vivoté par la suite entre projets toujours personnels mais très (trop) mineurs, n’attirant pour ainsi dire aucune attention, et commandes à l’image de la série Mafiosa pour Canal+. Cette deuxième chance qui lui offerte avec Möbius, il l’utilise pour composer une œuvre voisine de celle qui l’a coulé. Comme celui des Patriotes, le récit de Möbius adopte les traits d’un film d’espionnage international, mais son cœur bat en réalité pour les drames sentimentaux intimes de ses personnages. Après le Mossad, c’est le couple formé par le FSB (ex-KGB) et la CIA qui sert cette fois de couverture à Rochant. Les deux agences recrutent par hasard la même civile, Alice, trader franco-américaine déchue et exilée à Monaco, où elle travaille dans la banque d’un oligarque russe faisant principalement du blanchiment d’argent. Les américains se mettent en retrait, les russes avancent leurs pions et placent Alice sous la responsabilité de Gregory et de son équipe sur le terrain.
Les choses se compliquent singulièrement quand Gregory et Alice tombent raides amoureux l’un de l’autre, ajoutant aux dissimulations professionnelles leur passion clandestine. Protéger le secret de leur état affectif au sein du secret d’État(s) devient pour eux, malgré eux, la priorité absolue. Saisir comment le devoir et la raison peuvent être mis à mal par ce minuscule mais inamovible grain de sable émotionnel, voilà ce qui motive Rochant et anime son histoire, que l’on pourrait présenter comme une humble tentative d’actualisation au monde d’aujourd’hui des mythiques Enchaînés de Hitchcock. Les dérives de la finance à haute fréquence ont remplacé la chasse aux nazis en exil comme objectif assigné aux services d’espionnage, mais dans un cas comme dans l’autre ce contexte est essentiellement un prétexte, permettant d’exacerber tout ce qui devrait proscrire la romance. Les individus affectés par elle sont bien plus intelligents que la moyenne, entraînés jusqu’au formatage à ne rien faire qui puisse compromettre leur mission, et maintenus sous une pression et une surveillance constantes. Malgré tout cela, le facteur humain trouve le moyen de revenir par un trou de souris – il suffit dans Möbius d’un échange de regards, puis d’une nuit où les corps prennent le dessus sur les esprits par le contact de la peau, les caresses, les orgasmes.
Jean Dujardin et Cécile de France n’ont certes pas l’étoffe du couple formé par Cary Grant et Ingrid Bergman (surtout lui, à la palette de jeu dramatique toujours trop limitée ; elle s’en sort bien mieux). Rochant n’est peut-être pas non plus Hitchcock, mais il s’en rapproche suffisamment pour faire de Möbius un très bel exemple de cinéma populaire réfléchi et raffiné. Le scénario se veut résolument ambitieux, dans l’auxiliaire – la manière dont Rochant prend à bras le corps le thème obscur des dérivés de marchés financiers – comme sur l’essentiel, avec une conduite de récit nerveuse et décidée à aller toujours de l’avant. Rochant compte sur nous pour suivre le mouvement, avec un appel à notre intelligence et notre implication qui est toujours plus plaisant que le sentiment d’être infantilisé par l’auteur. Sa mise en scène est le meilleur des encouragements à rester à sa hauteur. Elle est d’une suprême élégance (à des années-lumière de la misère formelle de la majorité des films français visant un large public), tout en sachant efficacement faire de chaque élément un atout au service de l’unique chose qui compte : l’histoire.
Épurée des effets de manche inutiles et des vains artifices qui ne sont que poudre aux yeux, la réalisation de Möbius engendre un condensé de tension ne s’apaisant jamais. À intervalles réguliers dans le film, cette tension devient si forte qu’elle crève l’écran, dans des scènes soigneusement amenées et brillamment exécutées – une confrontation dans un ascenseur, une mort vue en direct par écran interposé, un double rendez-vous simultané au restaurant, un coup de téléphone passé au pire moment… Cette dernière, mémorable entre toutes, est celle où la maîtrise authentique de l’espace et du montage par Rochant se fait la plus souveraine. Ce sont des moments de suspense redoutable comme celui-là qui distinguent Möbius, en compagnie de la tragédie humaine vers laquelle ils nous emmènent inexorablement.