• Mission to Mars, de Brian De Palma (USA, 2000)

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Fin décembre

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Et alors ?

Quand un cinéaste d’ordinaire sous-estimé comme peut l’être Brian De Palma – puis, quelques années plus tard, l’assistance se retourne et se rend compte de l’importance du film initialement snobé – accepte une commande de studio dans un genre propice au pantouflage désinvolte, alors le film qui en découle n’a plus aucune chance de ne pas finir complètement ignoré. En apparence, Mission to Mars est l’association entre une attraction Disney onéreuse, spectaculaire, et calibrée pour être rentable (ce qui implique une exigence d’être tous publics), et un spot promotionnel vantant le savoir-faire et les ambitions du programme spatial de la NASA. Dans ce tableau, De Palma serait le réalisateur venu échanger un gros chèque contre son nom prestigieux apposé au bas de cette joint venture marketing, gagnant-gagnant pour deux des mastodontes de l’Amérique moderne. Il y a évidemment du vrai dans cette manière de voir les choses ; De Palma a beau être très doué dans le domaine de la subversion, il ne peut renverser toutes les montagnes de l’establishment et Mission to Mars est loin de dégager le même trouble et la même perversité que Redacted ou Phantom of the Paradise. Mais en route, le cinéaste est tout de même parvenu à se donner suffisamment d’air pour atteindre son but personnel : réaliser son mini 2001, l’odyssée de l’espace.

Voilà, le grand nom est lâché. Stanley Kubrick, son grand œuvre techniquement perfectionniste et d’une ampleur philosophique rarement égalée (si ce n’est par Solaris, la réponse directe envoyée par le meilleur ennemi communiste de l’époque), une des clés de voûte du cinéma de science-fiction moderne voire du cinéma moderne tout court. De Palma n’ambitionne pas de lutter d’égal à égal avec ce titan. Il s’en tient à en faire sa principale source d’inspiration, afin d’en proposer une relecture qui est à la fois une remise à jour trois décennies de progrès plus tard, et une version plus terre à terre, moins démesurément ambitieuse en ce qui concerne le futur et les potentialités de l’être humain. Il est difficile de faire autrement au vu du tassement de la conquête spatiale depuis la fin des années 70, qui piétine dans la très proche banlieue de la Terre loin des ambitions passées d’espace intersidéral infini. Conséquence n°1 : l’homme de Kubrick partait vers Jupiter, celui de De Palma s’arrête sur Mars. Mais il peut en arpenter la surface solide, là où Jupiter n’est qu’une immense boule de gaz. Cette propriété combinée avec les progrès des effets spéciaux permet à De Palma de réaliser des séquences visuellement saisissantes, et en liberté hors des parois d’un vaisseau spatial. Le côté « rêve de gosse » joue pleinement dans Mission to Mars, face à ces visions de la planète rouge ou de sorties extravéhiculaires d’envergure.

L’une des leçons de 2001 retenues par De Palma est de savoir faire l’impasse sur toutes les parures facilement spectaculaires du film spatial – héroïsme des astronautes sur le point de décoller, allumage des surpuissants moteurs-fusées, gestion en urgence de problèmes dantesques… Ce n’est pas Armageddon, ici. De Palma use avec bonheur des ellipses pour zapper les passages utilitaires, sans intérêt réel pour le film ou les humains qui l’occupent. Et quand il se fend d’une scène de suspense, c’est sur le mode anxiogène et non exubérant. C’est dans ce genre de situation que cela sert d’être un connaisseur compulsif des techniques hitchcockiennes : toute la séquence qui démarre par un microscopique impact de météorite, et se conclut par la mort d’un des personnages dans la haute atmosphère martienne après une tentative désespérée de sauvetage, est une merveille de tension amenée au plus près de son point de rupture. Tout cela grâce à l’attention méticuleuse portée aux détails par la mise en scène, et au respect de l’intégrité du contexte ; dans l’espace, tout se fait plus lentement, de manière plus contrainte, et la moindre erreur ou infortune s’y paie au prix fort.

Comme Kubrick avant lui, De Palma nourrit sa mise en scène de la multitude de possibilités offertes par l’environnement spatial mais, narrativement, suit strictement une ligne claire, guidée par la mission à accomplir et l’objectif à atteindre sans ouvrir la porte à des à-côtés perturbateurs (flashbacks, intrigues secondaires). Cette rigueur ajoute de la force et de la valeur au dernier acte, qui dépasse l’humain pour questionner ce qu’il pourrait y avoir après, au-delà, sans enfermer les réponses potentielles dans un genre cinématographique – slasher, comédie, film de guerre – qui en rendraient le traitement aussi facile que futile. Sur le fond et dans sa forme, la scène exhibe un premier degré qui fera forcément ricaner les cyniques ; mais dont la franchise et la limpidité feront leur effet sur ceux qui voudront bien prendre au sérieux l’énigme abordée. Laquelle est moins vertigineuse que dans 2001, puisqu’il s’agit de mettre l’homme face à l’inconnu alien plutôt que face à lui-même. De Palma a donc probablement raison de ne pas viser la majesté écrasante de la vision de Kubrick, et de s’en tenir à une épure qui n’impose que le minimum au spectateur et facilite sa perméabilité à la réflexion. La toute fin du film, très simple et très belle, est à cette image : grande ouverte à ce que l’avenir, l’inexploré ont à nous proposer.  On n’imaginait pas De Palma se montrer un jour aussi serein ; cela lui réussit.

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