• Mes valeurs dans ta gueule : La fille du puisatier et L’étrangère

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Mercredi soir, à 20h30 puis 22h30 à la suite de Tomboy (et donc pour Kaboom, bien sûr)

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Un titre alternatif, mais moins original à cet article aurait été « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». De bonnes intentions, la démarche de Daniel Auteuil en est pétrie, et celle de Feo Aladag encore plus. Mais elles les mènent l’un et l’autre sur le sentier de la guerre. Guerre de défense pour Auteuil, guerre d’attaque pour Aladag, avec dans les deux cas un enrôlement de force du spectateur dans le camp du réalisateur, autoproclamé « juste » et champion des bonnes valeurs souveraines. L’affirmation inflexible de celles-ci mène La fille du puisatier et L’étrangère à une aliénation et à des débordements, qui en font à mes yeux des films donneurs de leçons difficilement fréquentables.

Avec La fille du puisatier, Daniel Auteuil est en guerre contre tout ce qui constitue un bouleversement, voire même un changement par rapport à l’ordre présent des choses. Petit détail : ce présent est celui du film originel de Marcel Pagnol dont Auteuil réalise un remake ; c’est celui de la France de 1940. Il y a quelque chose de proprement sidérant à exprimer ainsi de la nostalgie pour un temps datant d’avant sa propre naissance – 1950 pour Auteuil qui, scénariste, réalisateur et acteur principal du film, se projette donc en homme vieillissant à l’époque de ses grands-parents plutôt qu’à la sienne. La fille du puisatier est une machine à remonter dans le temps : la forme est un pur produit de l’académisme du cinéma ordinaire de l’époque (dialogues et mise en scène ampoulés, surjeu des comédiens), le fond une représentation consciencieuse, dénuée de toute distanciation, d’une certaine réalité sociologique d’alors. Le film patauge dans le « Travail, Famille, Patrie », avec les hommes partant à la guerre ou étant l’unique source de revenus du foyer, et les femmes tout juste bonnes à se taire, s’occuper des corvées ménagères et pleurer hystériquement. A quoi se rajoute une rigoureuse répartition des rôles entre les humbles campagnards drapés de toutes les vertus, et les citadins nantis auxquels on ne peut jamais faire entièrement confiance et à qui il faut sans cesse faire la leçon. Tout cela ne présente pas le moindre intérêt dans et par rapport à la France de 2011. On a affaire à un film périmé depuis longtemps, et même ranci par ses répliques marquées du sceau du « bon sens populaire » qui virent au populisme – « Les femmes ça parle beaucoup et ça réfléchit trop tard », « On ne peut pas faire confiance à des gens qui vendent des outils sans jamais s’en servir »

Il est inconcevable pour moi de ressentir une quelconque empathie pour le personnage du puisatier, qui répudie sa fille aînée car elle a sali « l’honneur » de son nom en se retrouvant enceinte sans mari, qui la reprend car le bébé est l’héritier mâle qu’il n’a jamais eu, et qui triomphe finalement quand les autres grands-parents, des bourgeois de la ville, entérinent la défaite de leur orgueil devant le sien en acceptant pour leur fils un mariage en-dessous de leur classe sociale. De quel droit ce personnage pourrait-il être le héros du film, alors que le père de l’héroïne de L’étrangère, parce qu’il souscrit au même code d’honneur conservatiste et pieux et adopte la même posture intraitable, se retrouve dans le rôle du méchant ? Le hasard du visionnage des deux longs-métrages à la suite l’un de l’autre rend encore plus criante la stérilité de leurs dispositifs respectifs… Celui de L’étrangère démarre pourtant bien. Très bien, même. L’ennemi y est tout d’abord un mari violent, que la jeune Umay fuit en emmenant avec elle son fils Cem. Elle quitte Istanbul pour revenir auprès de ses parents, qui vivent en Allemagne. L’ennemi devient alors la cellule familiale, qui peut devenir un terrain d’oppression et d’humiliation au lieu du havre de protection espéré ; la décision arrêtée d’Umay de ne jamais retourner vivre avec son mari est inacceptable pour ses parents et ses frères, qui lui rendent très vite la vie aussi impossible que là-bas, à Istanbul.

Cette première partie du film brûle d’une intensité transmise exclusivement par des moyens de cinéma. Ce sont les cadres et les (bons) effets de montage plus que les paroles qui posent les conflits puis les embrasent, jusqu’au point de non-retour où l’exil est la seule échappatoire qui reste à Umay. L’urgence de ces séquences, la répétitivité de leur engrenage tragique impressionnent. Et puis le film dérape, lorsqu’il passe d’ennemis universels à un ennemi beaucoup trop spécifique. Ce glissement n’est pas soudain, il est la conséquence de l’acharnement de la réalisatrice à enfoncer le clou de son message pourtant limpide très tôt dans le récit. La démonstration de la tragédie vécue par Umay est bien assez faite lorsqu’elle se retrouve forcée de vivre avec son fils dans un foyer social. La forcer par la suite à revenir encore et encore se heurter au mur des traditions et de l’honneur dressé par sa famille, dans le seul but de vérifier qu’il est toujours là et qu’il fait toujours mal (d’une douleur traduite physiquement : Umay subit des coups, des bousculades violentes…), n’a plus rien à voir avec cette tragédie ni avec le personnage qui en est victime. C’est de la part de la réalisatrice et scénariste de l’addiction à la confrontation avec l’ennemi que l’on hait. Cela la conduit à un final juste dégueulasse, qui considère nécessaire de tuer un personnage innocent pour faire comprendre une fois pour toutes son propos au public. Cette confusion entre émotion et sensationnalisme place la scène au même niveau que les campagnes de « sensibilisation » consistant à apposer des photos répugnantes sur les paquets de cigarettes.

Aveuglée par sa haine féroce, Aladag avait avant même cela bâclé ses seconds rôles et le contexte de son histoire au point d’aboutir à un univers gravement simpliste. Où les allemands « de souche » sont tous bons et protecteurs. Où aucun homme d’origine turque n’est jamais montré en train de travailler ou d’étudier (mais se bourrer la gueule, éructer, se battre, ça on les voit le faire). Où les femmes de cette même communauté sont séparées selon une unique ligne de partage : soumises – à leur mari, aux coutumes, à Dieu – ou émancipées, et ayant dans ce cas adopté le style de vie occidental. D’un drame sur les violences conjugales et le poids du groupe face à l’individu, L’étrangère dérive vers un pamphlet pénible opposant gentils blancs progressistes et méchants immigrés musulmans rétrogrades. Sans forcément s’en rendre compte, certes. Mais est-ce là vraiment une circonstance atténuante ?

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