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- Les voitures qui ont mangé Paris, de Peter Weir (Australie, 1974)
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A la maison, sur le site Mubi/The auteurs désormais accessible sur la Playstation 3
Quand ?
Un dimanche soir, fin février
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Qu’il soit américain ou australien, qu’il réponde à l’appellation de badlands ou de bush, d’un bout à l’autre de la planète le fin fond d’une campagne aride et pauvre est une scène sans égal pour la mise en branle d’un slasher féroce. Le premier long-métrage de Peter Weir (The Truman show, Master and commander), sorti en plein âge d’or du genre, en est une preuve éclatante malgré son abord doublement déceptif – le Paris de son titre n’est pas celui de la Tour Eiffel mais un petit village australien ; et aucun véhicule motorisé ne mange quoique ce soit, au sens propre. L’histoire imaginée par Weir est extraite du même moule que de nombreux récits et épisodes de séries TV de science-fiction paranoïaque. Il s’agit de faire pénétrer un héros candide et commun, et avec lui le spectateur dont il est le représentant, dans une communauté soudée et volontairement à l’écart du monde, vivant selon ses propres règles. Tous ceux qui en font partie consentent à respecter ces dernières, sans exception ni discussion ; de même qu’ils font leurs les funestes secrets et forfaits qui participent silencieusement mais sensiblement à l’essor de toute société.
Les voitures qui ont mangé Paris n’est pas une œuvre de S-F, tout y étant tout à fait réaliste (avec simplement une certaine licence artistique pour l’aspect extérieur des automobiles customisées d’un gang de jeunes). Le choix de Weir se porte sur le slasher, alternative naturaliste à la S-F pour qui souhaite exprimer de manière allégorique une réflexion acide sur la société. Mais même vis-à-vis de ce genre, le cinéaste se place en marge des voies établies. Franc-tireur, il adopte les mécanismes du genre mais en bouscule les modalités de départ. Son tueur n’est pas une figure solitaire mais une troupe entière d’individus, travaillant de concert. A l’inverse, les victimes ne sont pas prises parmi un groupe initialement uni mais fauchées séparément, au hasard des gens de passage à proximité du village de Paris. Est ainsi à l’œuvre au cœur du scénario un phénomène à contre-courant du déploiement typique d’un slasher, qui ne va pas forcément jusqu’à en inverser le rapport de force mais rééquilibre bel et bien ce dernier. Car en un sens, la ligue des assassins du film s’est engagée dans cette voie sous la contrainte du monde extérieur, dont l’évolution l’a ramenée en face d’un dilemme animal : tuer ou mourir. Weir ne porte pas en lui la défiance habituelle des réalisateurs de films d’horreur vis-à-vis du monde rural. Le combustible de son récit est la désaffection et la désertification programmées de ces zones dans les pays développés, c’est-à-dire leur trépas à petit feu si aucune mesure radicale n’est prise pour l’endiguer.
Ironiquement, que Weir ait de l’empathie et non de l’inimitié envers les ruraux mène donc en pratique à un résultat similaire – leur faire trucider leur prochain. Mais l’atmosphère du film s’en trouve radicalement chamboulée. Indéfinissable simplement, elle s’appuie sur l’absence de référents solides (la morale de toute cette affaire est fort incertaine, le personnage le plus présent à l’écran est transparent et chétif, en aucun cas un héros auquel s’identifier) pour nous ballotter entre des émotions discordantes. On compte au nombre de celles-ci l’effroi, évidemment, devant le déroulement réglé comme du papier à musique d’une opération nocturne d’élimination d’un anonyme de passage, et de récupération et recyclage de son véhicule. Lorsque le village et ses habitants nous apparaissent à la lumière du jour, ce sont la fraternité et la magnanimité qui s’imposent à nous, tant il alors est évident que ce sont des gens essentiellement normaux, avenants même. Quant au second degré ironique et cinglant dont on peut attendre l’irruption dans un tel contexte, il intervient effectivement mais selon des modalités très claires, et en aucune façon comme un vernis dont l’on badigeonnerait l’intégralité du film pour lui donner plus de clinquant. Ces règles – n’être sarcastique que dans certaines séquences ; mais l’être alors envers tous les personnages sans distinction – placent Les voitures qui ont mangé Paris sous le patronage d’un autre genre, alors à son crépuscule, le western spaghetti. Weir n’en fait pas mystère, et se fend même au contraire d’un serment d’allégeance direct dans une scène jubilatoire de « duel » sur la rue principale du village, ponctuée par la poussière et une musique d’inspiration Morriconienne. Du pur Tarantino, vingt ans plus tôt.
Tout comme chez Sergio Leone – (re)voir l’itinéraire de Il était une fois la révolution, par exemple –, que l’ironie s’impose à tous les protagonistes fait qu’elle irrigue en profondeur le récit, et règne naturellement sur sa conclusion. Ouvertement politique, celle des Voitures qui ont mangé Paris décrit férocement comment tout système qui, pour subsister, cohabite de manière trop familière avec le mal soigne par là-même les germes de son effondrement. Celui-ci venant en effet avec la génération qui est trop accoutumée avec les exactions tolérées pour comprendre pourquoi elles doivent être maîtrisées et non déchaînées sans limite ; et qui d’héritière devient l’ennemie du pouvoir en place. Fin cruelle, que la mise en scène très directe de Weir rend plus violente encore, et qui noue des liens tant avec le passé (on dirait une morale désabusée à la Shakespeare) qu’avec le futur du film – ce qui est décrit là peut tenir lieu d’allégorie très valide de ce qui est en train d’arriver ces jours-ci à la droite française. Fin de l’aparté, et fin de l’article en forme d’évidence : mélangeant si brillamment ses influences dans son improbable creuset perdu dans le bush australien, Les voitures qui ont mangé Paris est un chef d’œuvre météorique (85 minutes tout compris) et injustement méconnu.