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- Les petits mouchoirs, de Guillaume Canet (France, 2010)
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A la maison
Quand ?
Le week-end dernier, en trois fois
Avec qui ?
MaFemme (à qui je dois les références à Lol et Les chansons d’amour apparaissant dans cette chronique)
Et alors ?
Ce qui choque le plus, à la vision des Petits mouchoirs, est que la – courte – carrière de réalisateur de Guillaume Canet était jusque là tout sauf honteuse. Mon idole surtout manifestait une propension à la subversion et une énergie débridée très enthousiasmantes ; et même Ne le dis à personne, bien que vacillant entre ses différentes références et perfectible dans son exécution, pouvait se targuer d’un plaisir sincère et communicatif dans son approche sans arrière-pensée du genre thriller. De la sincérité, il y en a encore à forte dose dans Les petits mouchoirs, ce qui n’est pas le moindre des problèmes posés par le film. J’y reviendrai plus loin, car avant d’atteindre ce noyau de franchise il faut être paré pour la traversée de couches denses et multiples faites d’un mélange de suffisance et de médiocrité.
Le succès est tellement monté à la tête de Canet qu’il s’est donc cru en mesure de réaliser le film définitif sur le sujet définitif, le carré magique la vie – la mort – l’amour – l’amitié ; avec pour seule retenue celle de s’en tenir à sa tranche d’âge, les 30-40 ans. Limite en trompe-œil en réalité, comme le prouve l’intégration invraisemblable de François Cluzet, 55 ans, au groupe alors qu’il pourrait être le père de la plupart de ses membres. En fait, il n’y a rien qui soit moins qu’invraisemblable dans la constitution des personnages, et dans les relations qu’ils entretiennent – si c’est ça l’amitié (aucune conversation intéressante, des engueulades à la chaîne, des moments de rire qui se font forcément au détriment d’un bouc-émissaire), autant être astreint à l’isolement dans un sanatorium. La faute en incombe à l’écriture, déplorable. Son idée directrice est de réduire chaque individu à un unique trait de caractère, si générique qu’il semble extrait d’une liste de sujets de talk-show : l’excès de stress, l’engagement humanitaire, l’homosexualité refoulée, l’incapacité à s’engager sentimentalement, l’alimentation bio, le cybersexe comme réponse à la frustration dans le couple, la spirale destructrice de l’alcool et de la drogue… Oui, Canet ratisse large. Mais une fois les petits post-it psychologiques attribués à chacun, pas question d’en développer le contenu en vue d’une quelconque progression des personnages, dans le sens de l’introspection ou du changement. Les plus « chanceux » ont droit à une demi-douzaine de scènes ruminant jusqu’à l’écœurement le sketch de leur signe distinctif maigrelet, quand les autres sont limités à une seule, ce qui en fait des gadgets lamentablement inutiles. Les petits mouchoirs a beau durer 2h30, rien ne s’y passe, rien ne bouge. Après l’accident de scooter inaugural, le premier événement à peu près digne de ce nom intervient une heure et cinquante minutes plus tard, quand un couple séparé se remet ensemble…
On objectera peut-être que c’est précisément le but du film. Exhiber les errements (indolence, petites mesquineries) des protagonistes, réunis en vacances au bord de la mer alors qu’un des leurs est en soins intensifs à Paris, afin de faire émerger au final leur prise de conscience collective (qui serait aussi celle de Canet et, par transfert, la nôtre) que la vie, l’amour et l’amitié méritent plus de considération, bordel. Parce que le quatrième larron, la mort, rôde, voyez-vous. Pour qu’une telle objection soit recevable, il faudrait que le film affiche une qualité d’écriture et de mise en scène bien supérieure. Alors on croirait à l’amitié, aux fêlures des uns et des autres ; et aux conversions finales de ceux qui s’en voient attribuer, qui sont ici bâclées et donc aussi inconséquentes que peut l’être un « J’ai changé » proclamé à tout-va par un homme politique à la peine pour se refaire dans les sondages. Absolument tout dans Les petits mouchoirs est sur cette même longueur d’onde, Canet ne démontrant aucune aptitude pour ce sujet faussement facile qu’est la description des drames et comédies du quotidien. Son horizon d’auteur-réalisateur pour de tels moments est celui de la mauvaise télévision : des pseudo-gags expédiés en trente secondes comme dans Scènes de ménages sur M6, et pour le tragique le procédé favori des soap-operas de bas-étage, la confusion entre suggestion et vide. La recette est simple : ne pas écrire de dialogues, mais noyer plutôt la scène sous un morceau de musique passe-partout, et surtout penser à l’interrompre en plein milieu pour la laisser en suspens. Bravo, vous aussi vous venez de confectionner une scène émotionnelle au rabais.
Canet galère de la même manière au niveau supérieur, dans l’organisation et l’équilibre de son film choral éléphantesque. Les personnages sont introduits à retardement, par la suite certains disparaissent corps et âme plusieurs dizaines de minutes durant… Le rythme s’en trouve affligé d’une lourdeur inouïe. Pour toutes ces raisons, Les petits mouchoirs s’en remet en fait entièrement à l’apathie et à la docilité du spectateur pour emporter son adhésion. De ce fait, et puisque cela a fonctionné dans des proportions faramineuses (plus de cinq millions de spectateurs), le film devient le symbole, et le produit, de quelque chose de plus profond que le simple ratage d’un cinéaste dépassé par sa propre ambition. Canet est à n’en pas douter aussi sincère qu’il le clame en ce qui concerne le fond de son histoire. Il n’a pas inventé le genre de franchise apparente, et manipulée en sous-main par une scénarisation forcée et verrouillée, dont son film est saturé. Une décennie de talk-shows racoleurs et de téléréalités artificielles en ont été le vecteur à grande échelle. Plus qu’un film sur une bande de potes, ce que Les petits mouchoirs est en réalité est un décalque du concept et des techniques de récit de Loft story : un ensemble de personnages aux caractères discordants, soumis à des événements narratifs violents auxquels ils ne peuvent que répondre, et dont les maigres signes d’évolution ou de conflit sont dramatisés à outrance par la mise en scène. Seule variation, les éclats de voix ou de musique remplacent ici les sous-titres dirigistes du Loft pour piloter les réactions du public.
Plus problématique est le fait que les personnages eux-mêmes sont aussi creux que ceux d’une téléréalité. Comme les parents dans Lol, autre horreur sociologique récente, ils sont adultes mais ont des comportements, des réactions et des problèmes de collégiens. Ils s’en remettent en permanence à une figure paternelle fantasmée, l’inénarrable Jean-Louis, dépositaire de la sagesse du terroir et aux antipodes de tout ce qui caractérise les personnages puisque ces derniers sont censés faire fausse route. Et quand leurs problèmes pourraient effectivement avoir une gravité réelle, Canet l’esquive – le personnage de Jean Dujardin est soi-disant incapable de décrocher de l’alcool et de la drogue mais meurt des suites d’un carambolage où il n’a rien à se reprocher, par exemple. Pour tous les autres, les vraies difficultés imposées par la vie sont rejetées à après le film, qui s’achève très opportunément pour eux là où Les chansons d’amour, œuvre véritablement courageuse et sincère sur les mêmes thèmes, commence. Incapable de provoquer effectivement une quelconque introspection ou remise en cause, Les petits mouchoirs reconduit au final, et probablement malgré lui, la morale réac glorifiant la norme intangible de la cellule familiale hétérosexuelle avec enfants. En niant – c’est là que ça coince – le droit au bonheur des autres manières possibles de mener sa vie. Le dernier plan ne pourrait être plus symptomatique du désir du film d’un monde figé pour toujours : c’est un arrêt sur image capturant un éphémère instant de répit et de communion.