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- Les films de la semaine du changement : Margin call, Miss Bala, Babycall
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La semaine du 6 mai 2012 ne restera pas dans les annales pour la qualité de ses sorties dans les salles de cinéma françaises. Ayant déjà réglé par ailleurs son cas au slasher trompeur La cabane dans les bois, je vais consacrer quelques lignes à trois autres films vus ce week-end, et qui ont en commun de ne pas être à la hauteur de leurs intentions affichées : l’américain Margin call (de J.C. Chandor), le mexicain Miss Bala (de Gerardo Naranjo) et le suédois Babycall (de Pal Sletaune). Mais avant, il me faut signaler qu’un quatrième film du mercredi 2 mai, l’allemand Barbara (pas vu), était de toute évidence un signal préalable inamical à peine masqué télécommandé par Angela Merkel à l’intention de François Hollande. Il s’agit en effet d’un énième portrait de la rudesse des conditions d’existence dans la RDA communiste, redoublé d’un récit du désir d’exil d’une de ses habitantes vers l’éden capitaliste qu’était l’autre partie de l’Allemagne. On n’est pas loin de la déclaration de guerre cinématographique envers le candidat socialiste.
Parmi les trois films dont il est question ici, deux ont eux aussi la politique en arrière-plan. Miss Bala s’inscrit dans le cadre de l’interminable guerre, qui gangrène le Mexique, entre trafiquants de drogue et forces policières et militaires. Margin call nous fait revivre, sous la forme d’une fiction nourrie à haute dose en éléments réels, « le » moment où la crise financière qui couvait s’est cristallisée lors de l’été 2008, entraînant par le fond plusieurs banques. J.C. Chandor à la petite souris qui se faufile dans les open spaces et les salles de réunion de la banque où s’allume l’étincelle, le soir où un employé prend conscience que la société court à la faillite (le total de ses pertes potentielles sur des placements à risque dépassant la valeur totale de sa capitalisation). Le scénario décrit la cascade d’événements et de décisions qui va suivre au cours de la nuit, avant la réouverture de la bourse le lendemain matin. Peu attaquable du point de vue pratique de sa confection – avec tous les attributs d’un bon élève du circuit indépendant américain, dans son casting, ses dialogues, sa réalisation –, Margin call est plombé par deux maux de fond. Il cède à la facilité de faire cumuler plusieurs rôles à ses personnages, qui en plus d’être les acteurs du drame en deviennent les témoins (dans leurs bouches sont placées des tirades analysant le krach financier avec un recul et une justesse improbables dans le feu de l’action) et les victimes (ils perdent dans l’affaire leur emploi et une part d’eux-mêmes). L’omniscience qui leur est ainsi conférée tire le film vers une artificialité maladroite, et gênante. C’est le deuxième point noir : En éliminant de son champ de vision les véritables témoins (journalistes, par exemple) et victimes (toutes les personnes licenciées ou ruinées dans l’économie dite réelle) de la crise, Margin call prend des allures d’éclaireur de la reconquête idéologique menée par le système bancaire. Quelques moutons noirs y sont pointés du doigt, pour mieux faire passer la majorité des traders pour des individus bien intentionnés (leur travail serait au service de l’intérêt général et aurait été détourné par de mauvais génies) et eux-mêmes pas loin d’être des prolétaires – selon la logique bancale voulant que parce que certains gagnent 100 millions de dollars par an, en gagner 1 million signifierait être pauvre. Pour achever de révéler leur humanité profonde, il y en a un dont le chien meurt, et nous sommes conviés à partager sa douleur et sa tristesse. Face à quoi le rappel de la réplique du Nom des gens « je m’en fiche que les gens de droite soient sympas avec leur chien » ne pourrait tomber plus à pic.
Les problèmes de Miss Bala sont eux d’ordre cinématographique. Le réalisateur Gerardo Naranjo peut sans honte poser sa candidature pour entrer dans la caste des virtuoses de la caméra ; ses plans-séquences sont une très belle carte de visite, par leur inspiration et leur accomplissement de forme. Mais il lui faut encore apprendre que cela ne suffit pas à faire un grand film. Son Miss Bala démarre pourtant bien, étendant les codes d’un film d’horreur (héroïne transformée en victime expiatoire innocente et impuissante, dans un monde de cauchemar où tout est source de danger mortel) à l’échelle d’une vie et d’un pays, ce dernier étant de plus bien réel. La bonne impression ne dure pas plus d’une vingtaine de minutes, jusqu’à ce que se mette en place le système de coups de force narratifs venant prolonger arbitrairement, sous une nouvelle forme, le martyr de l’héroïne prisonnière d’un cartel de la drogue. Le film tourne alors au dispositif répétitif et malsain. Il n’a rien de plus à dire que ce qui transparait de ses premières scènes, mais il multiplie les étapes d’un chemin de croix qui à ce compte-là pourrait tout aussi bien durer dix heures. Le plaisir masturbatoire de la maestria de sa mise en scène (somme toute limitée, car cadenassée : seule y concourt la force du cadrage, nul usage n’est fait du montage, de la musique) aveugle Naranjo, pour qui les fusillades et les tortures sont réduits au rang de prétextes à de beaux mouvements de caméra parfaitement chorégraphiés. Ce qui fait de lui un bénéficiaire de cette violence qu’il entend dénoncer, car sans elle on voit mal ce qu’il trouverait à filmer étant donné qu’il ne démontre aucun intérêt pour ses personnages ou leur environnement.
Le moins mauvais des trois films est donc le moins ambitieux au départ. Babycall reste d’un niveau honorable même s’il a lui aussi un défaut de taille – une certaine malhonnêteté vis-à-vis du public. L’étrangeté qui nimbe ce drame à la première personne (une mère qui essaye de recommencer sa vie seule avec son fils après avoir quitté un mari violent) se décline sous des formes un peu trop nombreuses, et repose sur des éléments qui nous sont tus jusqu’à la dernière minute. La combinaison des deux rend le film heurté, claudicant, et, une fois que le fin mot de l’histoire nous a été révélé a posteriori, inutilement alambiqué, avec des mystifications qui cohabitent et parfois s’enchevêtrent sans utilité. La diversité des réactions à la révélation finale (qui vont du rejet violent à l’adhésion totale) tend à illustrer que chaque spectateur a son propre seuil de tolérance à la teneur en manipulations et tromperies d’un film. Tout dépendra donc du votre. Mais ces simagrées qui lestent Babycall sont de toute manière regrettables, car superflues. De son casting solide mené par une très belle composition de Noomi Rapace à sa maitrise des effets angoissants quels qu’ils soient, le film disposait de bien assez d’atouts pour fonctionner en suivant une ligne plus claire. En jouant la carte de la simplicité du récit et de la sincérité vis-à-vis du spectateur. Faute de quoi Babycall laisse un goût de rendez-vous manqué.