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- Les amants passagers, de Pedro Almodovar (Espagne, 2013)
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Au ciné-cité les Halles
Quand ?
Le mercredi de la sortie, à 22h30
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
La bande-annonce l’augurait, et Les amants passagers est bel et bien le film le plus futile et dissipé de Pedro Almodovar depuis au bas mot une quinzaine d’années. À compter de Tout sur ma mère le cinéaste espagnol s’était engagé sur une pente résolument ambitieuse, constellée d’œuvres raffinées, majestueuses et déchirantes. Mué en artiste mature, en auteur dramatique éminent, Almodovar conçut alors un triptyque de bouleversantes cathédrales – Parle avec elle, La mauvaise éducation, Volver. Et puis la machine s’est grippée, la quête de grandeur est soudain devenue nocive pour les films mis en chantier. Étreintes brisées, puis La piel que habito fléchissent sous ce poids, trop écrasant par rapport à leur contenu et à leur force véritables. Les qualités de ces deux longs-métrages, les derniers d’Almodovar avant Les amants passagers, sont étouffées, les films ne respirent plus, ne vivent plus. Enferré dans une impasse, le cinéaste a pris la décision la meilleure et la plus radicale qui soit : tout envoyer valser, et s’offrir une cure de jouvence en replongeant la tête la première dans les excès de ses débuts, qui en avaient fait l’un des fers de lance de la Movida.
Le sketch bouffon qui ouvre Les amants passagers est emblématique de ce renversement. Antonio Banderas et Penélope Cruz, soit les deux stars à l’affiche respectivement de La piel que habito et Étreintes brisées, y jouent (dans un accoutrement qui les rend méconnaissables) des employés empotés d’une compagnie aérienne, dont les gaffes cumulées vont causer le gros problème posé aux héros du film. Banderas et Cruz passent dans ces circonstances burlesques le témoin à ceux-ci, avec lesquels Almodovar accomplit son évasion par avion. L’essentiel du film se déroulera dans l’appareil, coincé en l’air à tourner en rond dans l’attente qu’une piste se libère quelque part en Espagne pour permettre un atterrissage d’urgence. L’évasion en question se fait donc à huis clos ; piégées physiquement, les personnes présentes à bord (Almodovar inclus) vont se lâcher une bonne fois pour toutes, dépassant les bornes, faisant sauter leurs inhibitions et imploser le carcan qui les emprisonne. Dans ce but les grands moyens sont employés, comprendre les principaux vices immoraux : drogue, alcool, sexe, sans compter et sans discriminer.
Les jugements vertueux et les convenances de bon ton refoulés à la porte d’embarquement, Almodovar endosse le rôle de meneur de débauche. Il imagine les écarts de conduite les plus outranciers pour ces personnages, et les filme avec une gourmandise insatiable. Bisexuel, chargé en stupéfiants de toutes sortes, Les amants passagers est le fruit défendu d’une inspiration débordante en matière de concupiscence (ça baise, a baisé, baisera dans tous les recoins) et d’obscénité, dans lequel tout le monde est invité à croquer à pleines dents. Almodovar appuie sa charge par un mauvais goût crânement revendiqué. La réalisation est volontiers criarde, le récit tourne au vaudeville hystérique, les dialogues regorgent de vulgarités, les stewards gays sont des caricatures de folles. Le long-métrage dans son ensemble est une drag queen, mais bourrée de talent. Almodovar n’est jamais pris en défaut sur le tempo comique, que les gags relèvent d’un flot de paroles, du montage ou bien de mimiques. Ainsi l’acmé loufoque du film, la chorégraphie des garçons sur I’m so excited des Pointer Sisters, est également une leçon de mise en scène, avec un découpage parfait qui rend le numéro encore plus plaisant.
Almodovar trouve aussi le moyen de se fendre de gestes rappelant avec éclat qu’il maîtrise sa récréation en roue libre : les génériques animés de début et de fin, l’utilisation lumineuse de morceaux pop contemporains (signés Django Django, Metronomy). Certes, la menace de la vacuité rôde autour du film. Les histoires personnelles qu’Almodovar alloue aux passagers, dans l’espoir de les hisser au même niveau que l’équipage – peine perdue, tant ce quintet mené par l’extraordinaire Javier Camara dévore chaque instant –, tombent à plat. Mais ce remplissage un peu vain est compensé par la voie oblique ouverte par Les amants passagers pour traiter de la crise espagnole. Le fiasco qu’elle représente et la détresse qu’elle engendre sont à portée de la main – voir les plans irréels dans l’aéroport fantôme de Ciudad Real à la fin. C’est sciemment qu’Almodovar érige un mur de folie, d’indécence et de vulgarité entre son film et cette réalité. L’orgie dissolue et impulsive est sa réponse au désastre.