• Le territoire des loups, de Joe Carnahan (USA, 2011)

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Où ?

Au Publicis cinémas, qui diffusait encore le film deux fois par jour la semaine dernière

Quand ?

Mardi, à 19h

Avec qui ?

MonFrère

Et alors ?

Joe Carnahan avait déboulé en trombe sur le devant de la scène cinématographique il y a maintenant dix ans de cela, avec le bon petit polar nerveux Narc. Puis il en avait disparu tout aussi soudainement, ne se rappelant à notre souvenir qu’au compte-gouttes, via des films oubliables (le polar estival Mi$e à prix) ou que l’on préférerait oublier (l’adaptation hystérique de L’agence tous risques). Le territoire des loups est une surprenante renaissance, qui joue dans une toute autre cour que ce que son titre français de direct-to-dvd à gros muscles laisse présager (pour information, en anglais le film se nomme The grey). Carnahan donne vie à une œuvre de survival horror qui surclasse tout ce qui s’est fait sur les terres du genre ces dernières années, de par sa férocité, sa droiture, sa radicalité. Qui fait l’effet d’un coup de poing à l’estomac doublé d’un regard sans concession sur la condition humaine.

Une fois passé un prologue malhabilement excessif (trop bavard, trop introspectif, trop larmoyant, trop soudain), Le territoire des loups fixe sa ligne de conduite alors qu’il fait monter ses personnages à bord d’un avion qui n’arrivera pas à destination mais s’écrasera dans le désert gelé de l’Alaska, battu par les vents et la neige, sillonné par les loups. Dès cet instant où l’aventure tragique commence concrètement, son récit sera sec, direct, physique. Carnahan fait le choix d’un cinéma des sensations et des tensions plutôt que de la compréhension et de la planification. Il fait corps avec le calvaire de son groupe de rescapés du crash, qui n’auront de cesse d’être pressés, par des forces extérieures et supérieures, de réagir dans l’urgence et la détresse. L’enchaînement des scènes de l’accident d’avion, de l’improvisation du campement de fortune et des premiers secours, de la découverte de la présence des loups et de leur première attaque l’atteste sans retour. Toutes resserrées en quelques heures de temps, toutes terrifiantes par la fureur organique de leur mise en scène et la marche au pas inexorable de leur montage, ces séquences couvrant la première nuit en enfer des personnages ont une volonté nette, faire abandonner tout espoir. C’est indubitablement chose faite, le film ne faisant par la suite jamais état de l’hypothèse d’une issue heureuse sans que cela ne choque. Tout le monde a compris ce vers quoi il se dirige, et s’y est résigné.

Par la suite, Carnahan ne parvient pas entièrement à se maintenir en permanence à ce niveau d’intransigeance si intense. Quelques détours (confidences, souvenirs, monologues) viennent contrarier la progression de l’histoire mais ils ne durent jamais bien longtemps et, surtout, le film ne faillit jamais dans les moments qui comptent. Les affrontements avec les loups et les autres épreuves, pour certaines plus dangereuses, infligées par la nature ne sont jamais biaisés. Le territoire des loups ne transige pas sur l’impuissance de ses personnages, la soudaineté et l’imprédictibilité des agressions qu’ils subissent, la sauvagerie absolue des combats et l’issue fatale qu’ils appellent. Tout ce qui constitue l’essence du genre survival est là, non délayé, tranchant. Et partant de là, de ces fondations si solidement établies, le film peut s’élever vers des hauteurs particulièrement ambitieuses. Il fait du destin cruel de ses personnages une allégorie réduite à l’os de celui auquel nous sommes assujettis tous autant que nous sommes.

La vie est une blague tour à tour sinistre et grotesque faite sur notre dos, au cours duquel le contrôle que nous exerçons sur les événements est au mieux parcellaire, au pire une illusion trompeuse ; et où les bons moments sont à chérir car précaires. La seule chose certaine est la chute de la blague : la mort, que Carnahan regarde en face avec une franchise dont font preuve peu de films – et extrêmement peu de films hollywoodiens. Pas question d’en édulcorer la brutalité, d’inventer des raisonnements qui la justifieraient. Le parcours intérieur du Territoire des loups est un apprentissage, entamé dans la carcasse de l’avion et dont le superbe point d’orgue est le contraste entre les deux ultimes décès, l’un atroce et précipité et l’autre pressenti à temps pour l’accepter, le gérer. Prendre le temps de faire le point sur son existence, le bilan de ce qui a compté, pour ainsi ne pas subir complètement les derniers instants qui nous sont donnés. Sans débordement mélo ni héroïque mais dégageant une émotion sincère et profonde, le dénouement ainsi produit est un vrai tour de force, idéalement agencé, qui parvient même à réhabiliter certains des écarts antérieurs du récit. Et fait du Territoire des loups une de ces séries B qui se subliment et deviennent de grands films.

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