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- Le stratège, de Bennett Miller (USA, 2011)
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Au ciné-cité les Halles, l’un des quelques cinémas à le montrer (l’effet repoussoir du baseball est plus fort que le pouvoir d’attraction de Brad Pitt)
Quand ?
Lundi soir, à 20h
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Entre le vocabulaire technique du baseball impénétrable pour les profanes, et les jeux sur la langue et les tournures de phrases du coscénariste Aaron Sorkin, les responsables de la réalisation des sous-titres français du Stratège (et probablement ceux du doublage aussi) se sont retrouvés face à une tâche surhumaine sur ce film. D’ailleurs, plusieurs séquences les voient débordés sur l’un ou l’autre des plans sans que l’on puisse se dire qu’il était possible de faire mieux. Le casse-tête sémantique posé par le film s’expose dès son titre original, Moneyball, qui est le nom d’une théorie faisant des statistiques pures l’alpha et l’oméga de la constitution d’une équipe de baseball. Les facteurs humains et subjectifs sont mis au rebut, tant du côté des joueurs (potentiel pour être une star, allure physique…) que des recruteurs – l’intuition, le soi-disant « flair ». Évidemment, cette théorie venant contredire des décennies de traditions reproduites de génération en génération dans le milieu, elle provoqua un rejet massif et dédaigneux. Sauf chez un outsider aux petits moyens, le manager de l’équipe d’Oakland Billy Beane, lassé de ne pouvoir lutter à armes égales contre les poids lourds du championnat et leurs budgets quasi illimités. Comme cela a fonctionné au-delà de toutes les espérances, et que le baseball est aussi mythique outre-Atlantique qu’il est confidentiel chez nous, tout était prêt pour que la machine hollywoodienne s’empare du sujet et en fasse un biopic sportif de plus.
L’histoire de Beane et de son équipe de joueurs étiquetés individuellement comme mauvais, mais idéalement complémentaires sur le terrain, comporte cependant quelques aspérités à même d’accroître l’intérêt particulier qu’elle peut présenter. Pour commencer, les Oakland A’s ne sont pas arrivés jusqu’au titre, ni même jusqu’à la finale, ce qui empêche de se fondre confortablement et sans trop réfléchir dans le moule du récit de l’outsider faisant la nique à tous les gros. De plus, le baseball est un sport peu cinématographique (les parties durent des heures, les exploits individuels voyants y sont rares) et le travail du manager d’une équipe – qui n’est pas l’entraîneur mais la personne en charge de tout le reste – l’est encore plus, puisqu’il se déroule intégralement en coulisses. Ces grains de sable mettent un film comme Le stratège en porte-à-faux vis-à-vis de son genre. Tout dépend alors de l’usage que veulent bien faire de cette situation les participants au projet.
Là, Le stratège fait clairement le grand écart. D’un côté, la trame conçue par le premier scénariste ayant œuvré sur l’histoire, Steven Zaillian, et dans son sillage la réalisation de Bennett Miller, semblent ne pas être en mesure de viser autre chose que de tenter de faire revenir le film dans le rang des biopics sportifs classiques. C’est la face « film de sport » du Stratège, avec tout ce que cela comporte comme points de passage narratifs obligés, flashbacks patauds et leçons de vie doucement barbantes. Miller surtout parait peu à son aise. Lui que l’on avait pourtant découvert très subtil et juste avec Truman Capote ne réussit ici jamais à concevoir une vision, une identité. Il fait le boulot, mais de façon transparente. De la mise en scène à l’emploi de la musique et au rythme imprimé par le montage, tout est marqué du sceau de la platitude la plus totale.
A côté de cela, il y a au sein de l’équipe du film un trio magique et espiègle Sorkin-Pitt-Hill, qui trace sa propre route sans se soucier du reste. En reprenant le scénario et en l’arrangeant à sa façon, Aaron Sorkin tente plus ou moins le même coup qu’avec son script de The social network l’an dernier : dévoyer le biopic à sa source et l’embarquer dans une direction plus provocante, celle d’un film de casse agrémenté d’un soupçon de lutte des classes. Tel le nobody Mark Zuckerberg prenant les aristos à leur propre jeu d’intrigues et de coups tordus pour prendre à leur place le trône de maître du monde virtuel, Billy Beane tord les règles car il en a marre d’être un maillon intermédiaire dans la chaîne alimentaire du business du baseball. Le stratège met bien en évidence la profonde iniquité inhérente à tout sport professionnel qu’est le poids de l’argent dans les victoires. Ça ne fait pas tout, mais l’essentiel en transformant les plus petits en « organ donors for the rich » (réplique brillante). Face à ce constat, Sorkin fait de Beane un chef de gang fomentant sa tentative de hold-up du siècle – à l’échelle de son sport – en réunissant autour de lui un cerveau (Peter, l’adjoint nerd en charge du recrutement par les maths) et une bande de francs-tireurs n’ayant rien à perdre.
Toutes les scènes enfermant Beane et Peter dans un bureau pour y pratiquer du baseball de coulisses (épluchage des stats, composition sur le papier d’une équipe, transactions au téléphone impliquant plusieurs clubs et encore plus de joueurs) sont des pépites dialoguées à la perfection, et d’une célérité à laquelle il est délicieux de s’abandonner. Dans ces moments le film atteint des sommets, porté en plus par le plaisir communicatif pris par Brad Pitt et Jonah Hill à les interpréter. Le premier crée un personnage à mi-chemin entre ceux d’Ocean’s eleven (la gouaille, le charme) et d’Inglourious basterds (le meneur d’hommes inflexible). Le second montre, dans un cadre différent des comédies auxquelles il est abonné, qu’il est un des tout meilleurs supporting characters actuels. Il vient compléter idéalement le numéro de Pitt, de sorte que leur duo produit sans cesse des étincelles. Mais le détournement du film qu’ils perpètrent avec Sorkin ne marche réellement qu’un temps, avant d’être progressivement grignoté par la place encombrante requise par le volumineux cahier des charges du biopic sportif avec lequel le scénariste est cette fois contraint de composer. A Hollywood, on n’est pas toujours à l’origine du projet sur lequel on travaille ; et on n’est pas toujours rejoint à bord par David Fincher et sa dream team.