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- La Vénus à la fourrure, de Roman Polanski (France-Pologne, 2013)
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Au Gaumont Opéra
Quand ?
Jeudi soir, en ouverture du festival Paris Cinéma (le film sort en salles le 13 novembre prochain)
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
Commencer à réfléchir sur La Vénus à la fourrure, c’est tomber dans le piège que nous tend Roman Polanski. À peine avons-nous franchi le pas de la porte du théâtre, qui abritera l’intégralité du film, et rencontré les personnages que déjà les choses se brouillent et deviennent indéchiffrables. Mathieu Amalric joue une variante de Roman Polanski plus jeune – même allure, même coiffure, même profession (auteur-metteur en scène). En poussant plus loin on peut intégrer à la liste son nom de famille en provenance d’Europe de l’Est, et son prénom Thomas qui sonne presque comme Roman. Est-ce trop en faire dans le transfert ? Assurément non, puisque pour donner la réplique à Amalric Polanski a choisi sa femme, Emmanuelle Seigner, et qu’il a donné à celle-ci un rôle dialoguant directement avec leurs deux dernières collaborations. On avait quitté la comédienne à la fin de La neuvième porte, où s’affirmait clairement son identité diabolique ; son rôle si énigmatique de Vanda dans La Vénus à la fourrure pourrait tout à fait être cette même entité, revenue parmi les mortels s’amuser à leurs dépens un soir d’orage.
Auparavant, dans Lunes de fiel, Emmanuelle Seigner interprétait la moitié d’un couple sadomasochiste où elle était le S et son mari paraplégique le M. Le rapport qui s’installe entre les amants du roman de Léopold Sacher-Masoch, qui donne son titre au film et que Thomas a adapté en une pièce de théâtre, est de la même nature. Et son intensification à mesure qu’avance l’audition de Vanda par Thomas fera de certaines des dernières scènes une recopie conforme de visions de Lunes de fiel. Comme l’explication de la provenance du titre du film l’a laissé percer, Polanski ouvre sous nos pieds une deuxième brèche en plus de celle des références personnelles : celle de la mise en abyme sans fin de l’œuvre d’origine. La Vénus à la fourrure est un roman réel qui devient une pièce fictive qui occupe un film réel ; sur la scène des acteurs incarnent des personnages qui jouent à lire un texte dont les thèmes et protagonistes finiront par résonner fortement avec leurs propres existences et caractères.
Le jeu de miroirs ainsi échafaudé entre l’art et la vie, considérés en plus l’un et l’autre sous des formes diverses, est vertigineux – et il se complexifie sans cesse à mesure que l’heure tourne. La Vénus à la fourrure se hisse de fait bien au-dessus de Carnage, le précédent huis clos théâtral de Polanski, qui se montrait bien incapable de dépasser son trop évident premier degré de lecture. Ici il est impossible de distinguer le réel entre tous ses reflets. Les pièces du puzzle ont beau être toutes disponibles elles sont également trop nombreuses, trop éparpillées et, cerise sur le gâteau, peuvent être assemblées de multiples façons qui aboutissent toutes à la formation d’un discours admissible. Polanski dérègle l’intégralité des systèmes interprétatifs, moyen d’assurer l’irréductibilité de l’art au diktat du « sujet de société » et de l’analyse rationnelle. Son film est aussi vraisemblablement un manifeste Femen qu’une saillie sexiste, une bouffonnerie grivoise qu’une tragédie vitale, un instantané contemporain qu’un héritage immémorial.
Vanda et Thomas sont eux-mêmes alternativement concrets ou chimériques, dominateurs ou vulnérables, fous ou sains d’esprit, masculins ou féminins. Ce travestissement dont Thomas est à un moment l’objet renvoie au Locataire, de même que la fonction de subordonné quelque peu souffre-douleur qu’il va occuper évoque Le bal des vampires – soit deux rôles interprétés alors par Polanski en personne. Amalric comme Seigner est un instrument malléable, au service de la synthèse baroque et brute que le cinéaste compose de son œuvre. Il fait passer en revue ses obsessions, ses jeux déroutants et pervers, avec une verdeur et un appétit formidables. De son plaisir de metteur en scène découle le nôtre devant l’écran, par le biais du découpage échevelé, des dialogues mordants, des métamorphoses aussi soudaines que sidérantes des deux comédiens entre la respectabilité de façade et la vulgarité animale profonde.