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- La liberté ou la capitulation : Man of steel, de Zack Snyder, et World War Z, de Marc Foster (USA, 2013)
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Respectivement au ciné-cité les Halles et au Max Linder Panorama (les deux fois en 2D)
Quand ?
Samedi et dimanche, à 18h
Avec qui ?
Seul et avec MonFrère
Et alors ?
Les deux champions du box-office américain de l’été (hors films d’animation) n’ont en commun que cette considération purement financière. Abordés par le versant artistique, ils sont aussi dissemblables que possible. World War Z est une production d’une indigence totale à tous les niveaux. Les seules scènes défendables du film sont celles qui ne pouvaient tout simplement pas être ratées, par la combinaison du sujet et de la technologie de pointe aujourd’hui disponible pour qui a le budget suffisant. Quand les zombies déferlent par dizaines – l’ouverture dans les rues de Philadelphie, plus loin le sauvetage en hélicoptère sur le toit – voire milliers (la chute de Jérusalem), et que la fuite désespérée devient l’unique option pour les personnages encore humains, alors la magie des images de synthèse fait le job et assure à elle seule le spectacle. Mais en dehors de ces shoots d’adrénaline, dont la sauvagerie et l’intensité nous clouent à notre siège, la catastrophe n’est pas devant mais derrière la caméra. World War Z est un cas presque caricatural de capitulation face à toutes les forces déstabilisatrices gravitant autour du cinéma de masse ; qui ne visent pas à soutenir la création d’un film mais à l’entraver, ou à se nourrir à ses dépens.
Les contraintes de durée (pour gagner une séance quotidienne de plus), de censure (pour obtenir une classification tous publics), de potentiel pour des suites (pour transformer à coup sûr le film en une lucrative franchise) sont respectées avec une telle servilité que World War Z a vite fait de ne plus ressembler à rien. Toute fibre artistique en a été arrachée. La mise en scène est d’une platitude confondante, n’aspirant jamais à véhiculer la moindre émotion, ou exprimer la plus petite ambition de la part du yes man Marc Foster. Quant au scénario, à force de réécritures en cours de tournage (le troisième acte est carrément passé à la trappe, remplacé par un autre beaucoup plus anecdotique) et de parasitage par les sommations du dehors, il se racornit telle la peau de chagrin jusqu’à n’être plus qu’une collection de clichés et d’inepties – machisme généralisé, stupidité des personnages, toute puissance du héros. Le summum de la nullité est atteint tant de fois que la liste suivante n’aspire pas à l’exhaustivité : la mort du scientifique à l’arrivée en Corée du Sud ; le caméo de luxe de Matthew Fox (crédité en sixième position au générique, alors que son rôle a été réduit à cinq phrases dites en coup de vent et autant de secondes à l’écran) ; le pied-de-biche planté dans la tête d’un zombie et qui reste hors champ lorsque Brad Pitt tente de le récupérer, censure oblige ; le climax transformé en publicité pour Pepsi, faute d’idées de réalisation pour faire autre chose de la scène…
Man of steel se situe à l’opposé de cette reddition inconditionnelle. Il ne faut pas cinq minutes à Zack Snyder pour ridiculiser World War Z, dans une séquence d’ouverture (qui en dure au moins le double) reprenant la recette imparable éprouvée par JJ Abrams dans son premier Star Trek – un père qui meurt, un fils qui naît, en plein milieu d’affrontements spatiaux d’une envergure et d’une virulence démentielles. Man of steel est lancé sur des bases affolantes par ce double assaut de lyrisme immodéré, dans l’action autant que dans sa figuration. La machine Snyder tourne immédiatement à pleine puissance, sans qu’aucune montée en régime ne soit nécessaire, et génère ce fameux style visuel emphatique jusqu’à la folie qui empreigne chacun de ses films et provoque forcément une réaction chez le spectateur. Rejet ou adhésion, au moins là quelque chose se produit à l’écran, on sent la patte d’un artiste sûr de son fait. La palette pléthorique et méticuleuse de couleurs employée, le design de chaque élément naturel ou artificiel de la planète, font du prologue sur Krypton une splendide claque formelle détachée de tout souci de naturalisme – dès la première seconde nous sommes clairement sur un autre monde, fantasmé, que rien ne raccorde à notre réalité – comme de tout horizon touristique. Snyder ne nous concède aucune respiration, qui nous permettrait de simplement jouir de la visite. Tout explose et s’effondre, l’urgence est de mise, faisant du récit une furie dont nous sommes captifs tandis que le réalisateur la chevauche crânement.
Après l’arrivée sur Terre, cette logique continue à prévaloir. Le principe fondamental de Man of steel est en effet qu’il adopte le point de vue des kryptoniens. Lesquels, gentils (Superman) ou non (le bad guy Zod et sa clique), ont un point commun naturel : être infiniment supérieurs en tout aux frêles humains que nous sommes. Leur vitesse, leur force, leur intelligence sont sans commune mesure. Man of steel est une réussite car il a et les moyens, et la volonté de se hisser à ce niveau titanesque plutôt que de l’amoindrir pour le rendre proche de nous. Les moyens, ce sont ces mêmes images de synthèse haut de gamme que dans World War Z, qui rendent parfaitement concevables des situations et mouvements relevant de la folie pure. La volonté, c’est celle qui s’exprime dans le choix habile d’une narration éclatée, tournant le dos au concept de progression (on retrouve immédiatement Superman adulte, et tout-puissant, des flashbacks se chargeant à partir de là de nous éclairer sur sa jeunesse) autant qu’à la possibilité pour les seconds rôles humains de peser véritablement sur l’histoire – à l’exception de Lois Lane, j’y reviendrai.
Entre la volonté et les moyens, Zack Snyder est l’intermédiaire idéal. La seule fois où il m’a déçu à ce jour est avec Sucker Punch, qu’il avait (mal) écrit lui-même. Mais dès lors que quelqu’un d’autre se charge de lui fournir un cadre pour le canaliser un tant soit peu, son talent crève irrésistiblement l’écran. Donnez-lui un sujet, et il soulève le monde. Cela peut être un comic book à adapter (300, Watchmen), un remake à exécuter (L’armée des morts), ou une franchise à relancer comme ici, du moment que les protagonistes sont des surhommes Snyder fera des étincelles, voire des merveilles. Dans Man of steel, l’association du personnage de Superman et des dernières avancées technologiques conduit à une apothéose du style du cinéaste. Accroché aux basques de ce héros humiliant les lois de la physique telles que nous les endurons, Snyder réalise son fantasme de fracasser toutes les restrictions ordinairement imposées au mouvement absolu. L’échelle du cadre, la vitesse de l’action, la détermination du point de vue, l’étendue des dégâts matériels deviennent sans limites. Ainsi l’affrontement quasi ininterrompu qui occupe toute la seconde moitié du film n’impressionne pas tant par cette durée inouïe, que par son intensité prodigieuse, effarante. Les kryptoniens se projettent instantanément sur des distances telles que ni l’œil ni la caméra ne peuvent les suivre, les camions-citernes et autres armes improvisées géantes volent, les gratte-ciel s’effondrent par dizaines… Pendant plus d’une heure une action chasse l’autre, toutes subites et colossales au point de faire de nous des observateurs aussi tétanisés que doivent l’être les fourmis quand elles nous voient agir.
Trop heureux de pouvoir enfin accomplir l’abstraction parfaite à laquelle il a toujours aspiré, Snyder nous délaisse superbement et se range du côté des demi-dieux, transformant la planète entière en playground pour jeu vidéo façon God of war ou anime tendance Akira – l’ahurissante machine à gravité en est le plus criant exemple. Et comme si cela ne suffisait pas de nous laisser K-O. dans notre siège, soûlés de coups, il rappelle à notre bon souvenir ses talents, révélés au moment de Watchmen, de conteur d’intrigues écrites par d’autres – ici David Goyer et Christopher Nolan. Man of steel propose ainsi d’excitantes alternatives aux histoires de Looper (le petit garçon surpuissant et terrifié devient effectivement quelqu’un de bien) et de Spider-Man (l’humanité accepte le héros, mais sans la moindre concession de la part de celui-ci). Par ailleurs, le développement des seconds rôles est des plus soignés. Les renaissances de Russell Crowe et Kevin Costner comme pères – naturel et adoptif – du héros sont si belles qu’on dirait des miracles tels que Tarantino sait les faire. Portés par les interprétations des non moins excellents Michael Shannon et Amy Adams, Zod et Lois Lane sont des êtres complexes aux personnalités fortes. Lui méchant tragique dont le sens du devoir s’est retourné contre lui, elle femme indépendante aux antipodes du cliché de la poupée fragile sauvée par le héros si fort et si beau qui en fait son trophée. Elle protège Superman / Clark Kent presque autant que l’inverse. Et elle a le joli dernier mot : « Welcome to the Planet, Clark ».