• L’inconnu du lac, de Alain Guiraudie (France, 2013)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Le mercredi de la sortie, à 21h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Avant que son pendant lesbien La vie d’Adèle ne subjugue le Festival en fin de parcours, L’inconnu du lac avait fait figure pendant presque une semaine de principale sensation cannoise. Il est amusant de constater que ces deux films français ont de forts points communs : une même conception de l’homosexualité comme tout à fait normale et non problématique, une même solution sexuelle apportée à un même problème narratif. La question à laquelle font face Kechiche comme Guiraudie est celle de l’expression de l’attachement intense qui se crée entre deux êtres. L’un et l’autre parviennent à une réponse identique, qui prend la forme d’une scène de sexe outrepassant les standards en vigueur au cinéma. Les ébats sont longs, scénarisés, explicites dans l’enchaînement des pratiques et positions et directs dans la représentation de celles-ci. Le but n’est pas de choquer, mais de nous marquer de l’empreinte de ce désir physique intense. C’est amplement réussi, et c’est tant mieux car l’intrigue de L’inconnu du lac s’enrayerait sans cela.

Franck, le personnage central, est follement attiré par Michel, qu’il rencontre sur un lieu de drague homo au bord d’un lac. Michel joue avec cette passion, se fait désirer, puis enfin devient l’amant de Franck. Le hic, c’est qu’entretemps Michel a tué un homme, son précédent partenaire, et que Franck a tout vu. Quand Michel consent à se donner à lui, Franck ne le rejette pas, ne le dénonce pas non plus ; ces considérations raisonnables sont balayées par son désir. D’où l’importance de nous montrer la pleine concrétisation de celui-ci via le sexe, pour que l’on croit au profond dilemme du personnage et que le suspense qui en découle fonctionne. Ce principe d’une relation irrésolue entre deux êtres, faite à la fois d’attraction et de crainte, et la tension qui s’y loge sont positivement hitchcockiens. Guiraudie souscrit sans retenue à cette filiation, en donnant à son Inconnu du lac un découpage tiré au cordeau, pensé avec la rigueur méthodique propre aux thrillers les plus dépouillés et tranchants.

L’inconnu du lac repose sur un dispositif épuré au maximum, ne conservant que l’essence des choses, des lieux, des sentiments. Sur la plage on se met nu sans gêne, et on déverse sans retenue ce que l’on a sur le cœur à des personnes que l’on vient de rencontrer. Dans les bois on laisse désir, attirance, amour s’exprimer sous la forme crue des étreintes charnelles. Il en résulte un équilibre miraculeux entre le trivial et le symbolique, deux approches de la vie sondées avec un même égard par Guiraudie. Par leurs dialogues, leurs tenues, leur présence, ses héros sont tous sans exception porteurs d’une vérité ordinaire désarmante de simplicité et de crédibilité. Et pourtant, dans le même temps, la façon dont le cinéaste les engage dans une histoire extra-ordinaire sonne tout aussi juste. Le contexte réel s’estompe autour d’eux, remplacé par un monde sous influence exclusive de fictions – Les liaisons dangereuses pour le trio Franck-Michel-Henri, allégorie puissante du tiraillement humain entre la passion et la raison, le danger et la sagesse ; et Hitchcock, que j’ai déjà évoqué.

Les préceptes de ce dernier portent la mise en scène, renversante, de L’inconnu du lac. Guiraudie a tout compris aux questions clés du point de vue (le superbe plan-séquence du meurtre, les panoramiques en vue subjective depuis le lac vers la plage), du hors champ, de la distance entre la caméra et l’action, et encore de l’opposition entre scènes diurnes et nocturnes – ici renforcée par le fort contraste naturellement à la disposition du cinéaste, entre l’aveuglant soleil estival du Sud de la France et l’obscurité totale qui envahit à la nuit tombée son décor à l’écart de toute pollution lumineuse. À l’écrit comme dans sa plastique le film a tout pour être génial, et il l’est effectivement pendant un bon moment. Malheureusement pas jusqu’au bout, à mon sens. À trop se confiner à son dispositif, dont il refuse formellement d’ouvrir l’horizon, Guiraudie s’enfonce dans une impasse dès lors que tous les enjeux ont été exposés, les protagonistes ajustés, les dispositions de chacun explorées. Le contenu du récit est alors cristallisé, en suspens ; et faute d’une étincelle qui viendrait le faire exploser et reprendre sa formidable marche en avant, son intensité s’étiole quelque peu. La rupture tentée dans les ultimes minutes pour remédier à ce blocage ne me convainc qu’à moitié, trop forcée dans son principe bien que très bien exécutée. Elle mène à un dernier plan lui-même ambivalent : résolument splendide, et signant l’absence de résolution du film.

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