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- Knight of cups, de Terrence Malick (USA, 2015)
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Au festival de Berlin, et à la maison en DVD édité par Metropolitan Filmexport (sortie le 25 mars 2016) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »
Quand ?
En février 2015, et ce week-end
Avec qui ?
Un compère d’Accreds, puis seul
Et alors ?
Seize ans après, Terrence Malick est revenu présenter un film au Festival de Berlin. En 1999, La ligne rouge signait une renaissance – premier long-métrage du cinéaste depuis deux décennies, couronné d’un Ours d’Or, ouvrant pour Malick une nouvelle période d’inspiration. Aujourd’hui, Knight of Cups referme sans prévenir la porte de ce cycle fécond, qui était porté par une Grâce désormais introuvable sur Terre.
Comme après tout événement traumatique, on se demande s’il n’y avait pas des signes avant-coureurs à décoder dans les œuvres précédentes du réalisateur. On peut bien extraire de À la merveille le fait que les êtres ne s’y montraient pas à la hauteur de l’Amour, ou de Tree of life l’idée que le foyer de la Grâce brûlait plus intensément dans le passé révolu de l’enfance. Mais rien ne préparait à la violence du choc encaissé par Knight of cups, et transmis tel quel à son spectateur. Ses spectateurs, en vérité, car nous ne sommes pas les seuls à y recevoir le monde dans un état de totale passivité, sans prise sur lui. C’est également le cas de celui qui l’arpente, Rick (Christian Bale), engagé dans une errance sans fin. Si le titre fait de lui un chevalier, sa quête est celle d’un Graal inatteignable. La détresse qui ronge Knight of cups vient du fait que ce Graal est celui de Malick lui-même. La transcendance, fondamentale dans sa vision du monde, et que sa caméra savait auparavant toujours révéler dans le monde sensible ou immatériel, chez les hommes ou autour d’eux, n’est plus. Pas même sous la forme d’un souvenir ou d’une ombre. Nos yeux peuvent scruter attentivement chaque plan du film, rien ne surgit.
Rick cherche la transcendance aussi ardemment que Malick l’a toujours fait, sans répit, en toutes circonstances, au grès de ses rencontres. Cela conduit naturellement à identifier le personnage à son auteur, à projeter sur le second la faillite des recherches du premier. La Grâce était la foi du cinéaste, Knight of cups est son apostasie. Si l’on traduit ses derniers films sous la forme d’une frise temporelle, Tree of life contiendrait le Big Bang, un état de Grâce absolu, parfait, auquel il est impossible de revenir (de même qu’il est impossible d’atteindre le Big Bang, tout au plus peut-on s’en approcher jusqu’à une certaine distance) ; puis cette Grâce se disperse, s’émiette à mesure que l’on progresse dans le temps, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus la moindre trace. Le monde de Knight of Cups a épuisé toute la Grâce initiale. Et le pire, c’est qu’à l’exception de Rick, personne ne s’en soucie. L’humanité a abandonné la quête. Tout juste reste-t-il un distinguo à faire entre les cyniques qui l’assument et les autres. Et tous vivent selon la même loi, énoncée par l’un d’entre à Rick : « Il n’y a pas de principes, seulement des circonstances ».
L’une des nombreuses âmes sans peine croisées par Rick partage avec ce dernier la règle à laquelle s’astreint désormais l’humanité, afin de remplacer la transcendance disparue : la fabrication d’artifices. Lesquels procurent l’instantané plutôt que l’infini, le périssable plutôt que la permanence. Ainsi, lui dit-elle, « on peut changer chaque jour, être qui l’on veut, des dieux même ». Version moderne de l’idolâtrie du veau d’or, tandis que Moïse est laissé à son isolement dans la montagne. L’image de Rick attendant une réponse à ses tourments intérieurs dans les Rocheuses, revient comme un refrain tout au long du récit. Autour de lui le reste de la Californie succombe à l’artificiel : Las Vegas un peu (un détour peut-être excessif mais où Malick se montre capable de concevoir des manières nouvelles de filmer ce lieu), Los Angeles surtout. Cette dernière ville est convoqué pour son caractère archétypal, exactement comme les quartiers pavillonnaires modèles de l’Amérique des années cinquante dans Tree of Life. Knight of Cups explore Los Angeles comme une Babylone moderne, tentaculaire, où chaque zone (Venice Beach ; Hollywood et ses studios dépeuplés ; les maisons sur les hauteurs avec chacune leur piscine, ersatz remplaçant les sources d’eau vive si précieuses chez le réalisateur) porte la marque de l’absence de ce en quoi Malick croit, et que son héros se désespère de trouver.
Hollywood et ces villas hébergent par ailleurs une caste et une industrie envers lesquelles Malick affiche une amertume violente et personnelle. Knight of Cups s’attarde longuement, plus que de raison, sur le mode de vie et sur le travail de ces créatures, stars, mannequins, photographes. Il gonfle son dossier à charge contre ceux auprès de qui il est revenu exercer son art après vingt ans de retraite, et qu’il accuse d’avoir pastiché son style sans en garder la substance. Ils font de belles images creuses, vaines, publicitaires « à la Malick », et tournent le dos dans leur existence professionnelle autant que personnelle à ce que ces images étaient censées leur dire, leur inspirer. Se sentant considéré comme un idiot utile plutôt que comme un prophète en son pays, Malick choisit de ne plus rien dire. Il assèche les racines de l’arbre de vie. Knight of Cups a bien des passerelles avec Tree of Life (les fils haïssant leur père, l’exil spirituel au sein de collines rocailleuses), mais tout y est aride, mort. La Grâce l’a quitté, ses dépositaires s’effacent. Jessica Chastain irradiait dans Tree of Life. Ici aucune des nombreuses femmes (Cate Blanchett, Natalie Portman, Imogen Poots, Freida Pinto…) n’imprime durablement la pellicule.
La source de sa foi est tarie. Malick filme avec un incroyable dépouillement cette impasse dans laquelle il semble se trouver. Il fait le vide dans l’âme des hommes, dans la beauté du monde, dans son geste de cinéaste même. Il est difficile de l’imaginer poursuivre dans la voie – avec la voix – qui était la sienne depuis son retour il y a seize ans de cela. Knight of Cups appelle une rupture, rendue explicite par le plan final, et qui prendra peut-être forme à travers l’un des projets du cinéaste : le documentaire Voyage of Time, embrassant l’univers dans toute son histoire et son étendue. Loin des hommes, au plus près de l’absolu.
Signe de la perte (temporaire ?) d’importance du cinéaste, le DVD de Knight of cups est autrement plus chiche en bonus que la superbe édition qui accompagnait Tree of life : un fugace module promotionnel et une interview à peine moins longue du producteur Nicolas Gonda (qui accompagne Malick depuis justement Tree of life). Ce régime sec est d’autant plus regrettable que même sur un laps de temps si restreint, on sent que la matière pour dire des choses captivantes sur le film était bien là, au détour d’une phrase sur la méthode de travail de Malick avec les acteurs ou d’une remarque de Gonda sur le tournant du cinéma du réalisateur vers le monde contemporain, depuis Tree of life alors que ses longs-métrages précédents étaient tous des films d’époque.
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