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- Jacky au royaume des filles, de Riad Sattouf (France, 2013)
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Au Méga CGR de Fontaine-le-Comte (en Vienne)
Quand ?
Vendredi soir, à 22h
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
Il n’y a pas beaucoup de cinéma dans Jacky au royaume des filles. La question est de savoir si c’est gênant ou non et, pour ma part, la réponse est non. Car Riad Sattouf n’est peut-être – probablement – pas un grand cinéaste, mais il excelle en tant qu’artiste. Il a l’audace et l’assurance, le refus de la tiédeur pour nous et de l’enfermement dans une case (de bande dessinée) pour lui. La pratique de l’art par Sattouf est transgenre, comme l’est le contenu de Jacky au royaume des filles : il crée lui-même la musique de ses films, et sa réalisation s’arrête à mi-chemin entre la BD et le cinéma, au stade du story-board. À l’écran tout reste assez étrangement statique, dissocié, sans que se produise l’émulation habituellement générée par la mise en scène. Cela se remarque plus ici que dans Les beaux gosses, car ce deuxième projet de long-métrage porte des ambitions formelles d’une toute autre ampleur. On quitte l’observation naturaliste d’un collège et de chambres d’ados pour passer à la création de toutes pièces d’un pays imaginaire, sa société, ses lois, et jusqu’à sa langue et ses machines. Et pourtant, dans Jacky au royaume des filles comme dans Les beaux gosses, Sattouf fait de l’anti-m’as-tu-vu sa ligne de conduite. C’est toujours plus appréciable que d’avoir à subir les débordements de ceux qui en font des tonnes en se croyant doués, mais cette humilité porte en elle le risque de passer à côté de certains gags – de la même manière que l’on n’entend pas la voix trop discrète de celui qui a la bonne réponse mais ne parle jamais fort.
Le royaume des filles, c’est la République « populaire et démocratique » de Bubune : un dérivé de la Corée du Nord régi non par le communisme mais par un matriarcat tout aussi drastiquement appliqué. Les femmes occupent tous les postes de commandement et d’enrichissement personnel, et disposent comme bon leur semble des hommes réduits au rang d’esclaves domestiques illettrés, corvéables à l’envi, et sans aucun droit sur leurs corps bons à voiler et à violenter. L’imagination de Sattouf pour décrire la République de Bub une et ses habitants ne connait pas de limites, à commencer par celles des soi-disant convenances et bonnes manières. Par ses actes il affirme que non seulement on peut et doit rire de tout, mais que cela constitue même un droit tout ce qu’il y a de plus naturel. On ne perçoit aucun désir de sa part de choquer ou de se faire remarquer lorsqu’il dégaine ses blagues radicales, (Pascal) brutales, qui voient Jacky se faire maltraiter ou abuser, ou les gueux se faire servir par le pouvoir en place de la merde pour unique nourriture. Tout cela est au contraire mené avec une extraordinaire et délicieuse candeur, que l’on retrouve dans la relation fraternelle entre Sattouf et ses personnages (qu’il accompagne en évitant toute forme de moquerie ou de condescendance), et encore dans sa façon d’intégrer des références culturelles à son univers sans se laisser écraser par elles. Au royaume des filles, il y a ainsi une base de remake des Beaux gosses, une bonne dose de Cendrillon, et même des pincées de Soleil vert et d’OSS 117.
Et pourtant Jacky… ne ressemble à rien de connu, c’est un pur « ofni » (objet filmique non identifié) auquel on souhaite ardemment de devenir objet de culte comme peuvent l’être les films absurdes et géniaux. Le génie de Sattouf s’exprime dans le patchwork, des influences mais pas que. Une idée est ainsi presque tout ce dont il a besoin pour figurer avec brio sa Corée du Nord façon Bubune : le télescopage de l’indigence du Tiers-Monde, et des pavillons Phénix reproduits à l’identique et à l’infini, mais ici privés de leur vernis de « confort moderne » – carré de gazon, aménagement intérieur, route goudronnée flambant neuve. D’associations baroques, il en est également beaucoup question dans les jeux de manipulation du langage (l’inversion du genre de quasiment tous les mots, très inspirée) et de bascule entre différents régimes d’images (les séquences d’actualités télévisées en ouverture et en clôture, très enlevées). Cette manière de procéder se ressent le plus nettement dans le melting-pot de comédiens venant de familles des plus diverses, voire que l’on pourrait croire antinomiques. À ses potes revenus pour un tour après Les beaux gosses – Vincent Lacoste, Anthony Sonigo, Noémie Lvovsky… – Sattouf associe une actrice primée à Cannes (Charlotte Gainsbourg), un cinéaste oscarisé (Michel Hazanavicius, formidable en gigolo-rebelle), des habitués de productions à l’humour plus consensuel (Didier Bourdon, Valérie Bonneton) qui prennent grand plaisir à venir jouer sans filet ici. On sent qu’il n’y a pas véritablement à leur encontre à tous de direction d’acteurs de la part de Sattouf. Mais là encore, pas besoin d’être un grand réalisateur quand on a le talent d’écrire des rôles qui tiennent et brillent d’eux-mêmes.