- Accueil
- Dans les salles
- Cinéastes
- Pas morts
- Vivants
- Abdellatif Kechiche
- Arnaud Desplechin
- Brian de Palma
- Christophe Honoré
- Christopher Nolan
- Clint Eastwood
- Coen brothers
- Darren Aronofsky
- David Fincher
- David Lynch
- Francis Ford Coppola
- Gaspar Noé
- James Gray
- Johnnie To
- Manoel de Oliveira
- Martin Scorsese
- Michael Mann
- Olivier Assayas
- Paul Thomas Anderson
- Paul Verhoeven
- Quentin Tarantino
- Ridley Scott
- Robert Zemeckis
- Roman Polanski
- Steven Spielberg
- Tim Burton
- USA
- France
- Et ailleurs...
- Genre !
- A la maison
- Mais aussi
- RSS >>
- Insensibles, de Juan Carlos Medina (Espagne, 2012)
Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!
A l’UGC Orient-Express
Quand ?
Vendredi soir, à 20h
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
La vague espagnole du cinéma de genre fantastique et horrifique, qui ne faiblit pas en quantité depuis le début des années 2000, n’est en qualité que trop rarement à la hauteur des brillants pionniers qui l’ont déclenchée – le vétéran Alex de la Iglesia (Le jour de la Bête), l’intello Alejandro Amenabar (Les autres), le mexicain Guillermo Del Toro (L’échine du diable). Insensibles sort du lot de ces déceptions, partielles ou entières, même si la première réalisation de Juan Carlos Medina n’est pas exempte de certains des défauts récurrents dans sa famille. On y retrouve en particulier des traces du (mauvais) goût pour la frime clinquante, qui tire les scènes où il s’exprime vers le vulgaire spot de pub aussi léché que vain. L’accident de voiture qui ouvre la partie au présent du récit fait ainsi craindre le pire, et provoque un sérieux coup d’arrêt après les promesses formulées par la toute première séquence, qui nous ramène en 1930. Heureusement, le rapport de force qui va s’établir par la suite entre les deux époques d’Insensibles sera nettement en faveur du passé, dont il apparaîtra peu à peu que le présent n’est rien de plus que la victime expiatoire, vouée à une dévastation totale.
Il y a dans la relation nouée entre présent et passé dans le film une ironie teintée de démesure qui évoque le grincement des tragédies anciennes. Parce qu’il nécessite une greffe de moelle venant d’un donneur compatible à 100%, le héros du temps présent, David, se retrouve contre son gré à devoir fouiller dans les secrets de sa famille. La vérité qui en rejaillit n’a rien d’une libération, et tout d’une infamie pour tous ceux qu’elle va impacter. C’est de ce legs abject dont Insensibles nous fait le récit morcelé en flashbacks, sur une période allant des décennies 1930 à 1960. Soit, dans l’histoire espagnole proche, de la veille de la guerre civile aux pires années de la dictature franquiste. Là où le film de Medina imprime puissamment sa marque, c’est qu’il va bien au-delà des façons classiques de traiter ce genre de période sombre de manière biaisée, via le cinéma bis. Dans Insensibles le contexte ne se contente pas de peser lourdement sur les protagonistes, en brimant leurs existences. Il étouffe celles-ci, en devient l’unique horizon, si cauchemardesque que la seule voie empruntable est la plongée dans la folie.
Avec ses figures d’enfants maudits et inquiétants (n’éprouvant aucune douleur, ils sont enfermés loin de la société dans un hôpital-prison), Insensibles semble de prime abord marcher dans les pas de L’échine du diable. Mais très vite, son caractère infiniment plus excessif que refoulé le fait s’affranchir de ce patronage pour écrire sa propre version de l’histoire, dans une veine monstrueuse qui n’est pas sans rappeler les gialli italiens des années 1970. Medina démontre une grande maîtrise de l’ellipse, procédé grâce auquel il fait des bonds en avant de plusieurs mois, puis de plusieurs années quand sa machine narrative s’emballe en même temps que le cauchemar empire. Les étapes successives du calvaire des personnages se voient réduites à des épisodes précaires, sans possibilité d’inscription dans la durée. Au contraire elles se consument avec une soudaineté radicale, emportant dans leur ruine les êtres au cours de visions horrifiques hallucinées, inhumaines. La plus emblématique est la scène signant dans le sang et l’extrême douleur la fin de l’enfance des insensibles, qui nous plonge dans un conte gothique réveillant des souvenirs de La nuit du chasseur.
Insensibles tire sa force de la cohérence de son entreprise : il nous prive de quiétude et de certitudes dans la conduite de son intrigue, dans la représentation sensorielle de son monde, et jusque dans l’espérance de vie de ses protagonistes. Aucun d’entre eux ne détient de passe-droit indu qui le placerait au-dessus des ravages causés, aujourd’hui autant qu’hier, par l’ignominie morale dans laquelle toute une société s’est retrouvée plongée lors du règne du régime franquiste. Pour Medina les personnages sont des pions condamnés d’avance, l’horreur est un instrument (jamais il ne cherche le sursaut ou le frisson gratuit), le tout au service d’une charge politique représentant la seule finalité qui importe. Insensibles est un brûlot, nihiliste par probité plus que par goût ; un coup de pied rageur dans le confort de l’oubli des trahisons et des crimes commis dans un passé pourtant proche. Sa fougue et sa conviction compensent en définitive largement les quelques ratés dans l’exécution – les effets de manche malheureux que j’ai déjà évoqués, une maîtrise fluctuante de la plongée du dernier acte dans un certain grand guignol, des personnages au potentiel dramatique incomplètement exploité.