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- In another country, de Hong Sang-soo (Corée, 2012)
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Au Saint-Germain-des-Prés
Quand ?
Mardi soir, à 20h30, en avant-première
Avec qui ?
Mon compère de cinémathèque
Et alors ?
Ma relation avec la filmographie de Hong Sang-soo pourrait tout à fait faire l’objet d’un film de Hong Sang-soo, car son cours accidenté est de ceux que le cinéaste aime à narrer. Je n’ai jamais vu ses trois premiers films, sortis d’un seul coup en France, mais j’ai beaucoup apprécié les deux suivants, Turning gate et La femme est l’avenir de l’homme, qui sont réunis dans un même coffret DVD et donc dans un même article de ma part. Après ceux-ci, je n’ai jamais réussi à suivre le rythme de plus d’une œuvre par an entretenu par le réalisateur, me détachant plus ou moins longuement et revenant aléatoirement partager des moments en sa compagnie, avec un plaisir inégal. Ainsi Woman on the beach et Ha ha ha ont peiné à m’emballer, le second au point de me faire faire l’impasse sur les deux films qui ont suivi. In another country vient donc rompre une période de séparation, et il le fait de la plus merveilleuse des manières.
L’examen de mon expérience m’amène à penser qu’autant le système ordinaire de Hong Sang-soo provoque désormais en moi autant de lassitude que d’affection, autant la magie des débuts opère à nouveau chaque fois qu’il insère de l’imprévu, du dérangement dans ses chroniques alcoolisées et narrativement torsadées de destinées sentimentales dysfonctionnelles. Night and day, délocalisé à Paris, m’avait enthousiasmé. Pour In another country, Hong Sang-soo fait venir la France à lui en la personne d’Isabelle Huppert. Il l’emmène au bord de la mer, dans une modeste station balnéaire du nom de Mohang, où tout semble exister au singulier : une chambre d’hôte, un restaurant, un centre d’intérêt touristique (un petit phare), une plage et son maître-nageur. De toutes ses singularités, Hong Sang-soo trouve le moyen de tirer un récit multiple. Triple, pour être précis : trois fois il va battre les cartes des humeurs et des interactions des personnages dont il peuple Mohang, pour dérouler trois histoires courtes qui se répondent, se poursuivent, se répètent ; trois histoires qui fondent un seul film, à la fois homogène et mouvant, simple et prolixe.
Dans l’œil du cyclone, à l’origine de toutes les perturbations, on trouve le personnage d’Isabelle Huppert, Anne. Celle-ci arrive une première fois à Mohang en tant qu’épouse heureuse et donc inaccessible, puis comme épouse adultère, pour finalement ne plus être une épouse mais une ex, trompée et quittée. Autour d’elle gravitent deux hommes, un réalisateur venant de Séoul (qui selon les cas voyage avec sa femme ou non, connaît Anne ou non) et le maître-nageur local, qui lui reste invariablement le même – tout en apparaissant comme le plus loufoque et fantaisiste des protagonistes du récit. En toutes circonstances, le désir nait et circule naturellement entre Anne et chacun d’entre eux, comme cela se produit toujours chez Hong Sang-soo. L’attraction des corps est pour lui une évidence, charmante et n’inspirant nulle sorte d’angoisse ou d’aversion ; ce qui ne veut pas dire qu’elle va sans problèmes. Ils surviennent dans un deuxième temps, tout aussi sûrement que le désir, lorsque hommes et femmes ne peuvent s’empêcher de confondre celui-ci avec l’amour ou bien se montrent incapables d’accepter que la réalité lui soit inférieure. In another country donne de cette vision du monde une représentation délicieuse, qui profite des multiples combinaisons offertes par ce qui change et ce qui reste identique au sein de son trio flirtant. Chaque nouvelle parade amoureuse est familière au départ (puisque ne faisant qu’un léger pas de côté par rapport aux autres ; par exemple les premières paroles échangées par Anne et le maître-nageur sont toujours les mêmes) et unique à l’arrivée. Toutes sont vibrantes, exquises, et le système d’échos et de variations donne au jeu dans son ensemble une inflexion comique qui achève de le rendre irrésistible.
Le désaxage vers le rire est présent à tous les autres niveaux du film. Ses personnages, sanguins ou lunaires mais au grand jamais raisonnables, ont ainsi un pied dans la réalité et l’autre dans une excentricité burlesque. Cela leur permet d’être en phase avec les situations dans lesquelles ils se retrouvent, qui sont toujours contaminées par une certaine part d’absurde, initiée par l’action ou par le décor lui-même. Car Mohang est un endroit bizarre, qui pourrait être jumelé avec Twin Peaks dont il est la version débonnaire et sans danger. Le cinéma de Hong Sang-soo y trouve un souffle neuf, pour deux raisons. Cette dérobade vis-à-vis du réel est un aboutissement naturel des formes narratives subtiles que le cinéaste a toujours prisées – flashbacks, mise en abyme, répétition des mêmes embûches et échecs sur le trajet d’un individu… Cette fois ces méandres ne sont plus le fait de décisions arbitraires de l’auteur, mais paraissent inhérentes au monde habité par les personnages. Et le moins que l’on puisse dire est que Hong Sang-soo est particulièrement doué pour inventer un tel univers et le faire tourner juste un peu de travers. On y cherche un phare introuvable, rêve et réalité s’entremêlent, des évènements d’une des histoires ricochent dans une autre… et tandis que d’une main il ébauche ce mouvement circulaire, Hong Sang-soo trace par ailleurs une délicate ligne de fuite sur laquelle Anne avance, de l’empêchement initial à la brèche finale. L’alliance de la sophistication de cette narration à plusieurs fonds et de la limpidité de la mise en scène débouche sur un petit miracle de cinéma.