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- I’m still here, de Casey Affleck (USA, 2010)
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Au ciné-cité les Halles
Quand ?
Mercredi soir, à 20h30
Avec qui ?
MaFemme
Et alors ?
Donc, non, Joaquin Phoenix n’a pas pris sa retraite (à à peine 34 ans !) après Two lovers pour entamer une reconversion dans le hip hop. Bien au contraire, il s’est alors lancé dans un projet qui restera certainement jusqu’au bout comme le plus ambitieux et accaparant de sa carrière. La même considération vaut également pour son complice tout aussi investi dans l’aventure Casey Affleck, qui n’a lui non plus rien fait d’autre durant la période (c’est-à-dire entre Gone baby gone et The killer inside me en ce qui le concerne) et qui sur I’m still here est crédité comme réalisateur, directeur de la photographie, scénariste, producteur, monteur. Soit autant de postes qu’il n’avait jamais tenus auparavant, exception faite d’un statut de co-scénariste et co-monteur sur Gerry, le film en grande partie improvisé (déjà) de Gus Van Sant. À Affleck la prise de risques derrière la caméra, et à Phoenix celle devant. L’acteur joue un rôle qui est une extension, dans des proportions monstrueuses, de sa part « maudite » – un tempérament torturé, introverti, facilement sujet aux débordements et aux coups de sang. Celle-ci, d’ordinaire canalisée, occupe tout l’espace et définit tous les actes du personnage Joaquin Phoenix de I’m still here, qui est à la fois le vrai Phoenix et un autre.
On peut faire la connexion, improbable au premier abord, entre I’m still here et le récent Pater d’Alain Cavalier. Bien sûr la différence formelle entre les deux est aussi immense que l’Atlantique, Pater opérant dans l’intimité d’appartements parisiens et I’m still here se déroulant aux quatre coins des USA et sous les feux des projecteurs du star system. Mais l’un comme l’autre explorent cette vaste zone d’ombre existant entre le vrai et le faux, la prétendue réalité et le soi-disant cinéma ; cette zone dans laquelle les questions sans réponse (est-ce que c’est écrit ou improvisé ? ressenti ou feint ? etc.) se multiplient à un rythme vertigineux, par la simple présence d’une caméra pour enregistrer des événements. L’existence pour Phoenix, en temps que star hollywoodienne, d’une image publique d’importance au moins égale à son moi privé ajoute deux nœuds supplémentaires, l’un en amont – le Joaquin Phoenix que nous pensions connaître n’était-il pas déjà qu’une création de toutes pièces ? – et l’autre en aval. Loin de laisser tomber dans l’oubli un ex-membre du club devenu marginal et peu rentable, la machine hollywoodienne va en effet être prise d’un emballement proprement délirant à l’encontre du nouveau Joaquin Phoenix. C’est comme dans les histoires de Mafia : si tu n’es plus avec nous, tu es contre nous, et si l’on ne peut plus faire de bénéfices grâce à toi, alors on va en faire contre toi.
Affleck et Phoenix ne visaient initialement qu’à s’accorder un espace de liberté totale et hors cadre : un tournage s’étalant sur six mois, le vrai monde comme décor et de vraies personnes comme figurants, la notoriété de l’acteur pour s’ouvrir des portes (dont celle de P. Diddy pour lui faire produire l’album à venir de Phoenix) et s’assurer de prestigieux caméos involontaires ; et surtout, les deux complices s’octroient le droit de remettre à l’écran de l’organique, du corporel, choses impensables sur les pellicules américaines. Phoenix est gros, gras, laisse pousser sa barbe et ses cheveux sans contrôle. Il fume en permanence, se paye les services de prostituées, et autres « horreurs ». C’est cette exhibition du « sale », de l’impur qui fait basculer la blague potache d’origine – les paroles des chansons écrites par Phoenix et ses pseudo-motivations pour ce changement d’orientation brocardent férocement les acteurs/actrices apprentis chanteurs – en tout autre chose, en provoquant l’essentiel de la fureur du monde extérieur. Crânement, Affleck et Phoenix répondent aux agressions successives par une affirmation toujours plus radicale et décidée de leur altérité, de leur liberté. Offensifs, ils ne se gênent pas non plus pour exhiber le vrai visage, fait de bassesse et d’acrimonie, de ces attaques cherchant à créer une complicité entre l’establishment et le public. I’m still here devient, sans l’avoir prévu, une entreprise de testing grandeur nature des limites de ce que Hollywood est prêt à accepter comme agissements « anormaux » dans son arrière-cour. Le constat a un goût très amer. Mais il tire le film vers le haut ; ce choc frontal avec la réalité des mentalités compense les longueurs de la partie purement comique, et sa poignée de scènes qui ne fonctionnent pas (surtout parmi celles « à la Brüno », impliquant des pseudo-assistants souffre-douleur de Phoenix).