• Halal police d’état, de Rachid Dhibou (France, 2011)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Vendredi matin, à 11h

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

Des sales gosses. Alors que la quête de respectabilité et d’appartenance à l’establishment accapare les efforts de la quasi-totalité des comiques français ayant fait leur trou ces dernières années (Dany Boon exigeant un César, Jamel Debbouze se piquant de politique, Jean Dujardin ne jurant plus que par les rôles tragiques, etc.), Éric et Ramzy se tiennent obstinément à l’écart de cette course amollissante. Leur unique préoccupation est de continuer à cultiver leur domaine réservé, cet espace de délire sans pareil, rétif au formatage, allergique à la logique et bafouant ouvertement les règles de séduction du public telles qu’éditées par le marketing. En cela, le duo est notre unique équivalent aux nombreux exemples de comiques américains placés dans les bordures du sérail, et se délectant de cette position qui leur offre une grande liberté : Will Ferrell, Ben Stiller, Steve Carell, bref la liste des favoris habituels de ce blog. Qui ont tout de même la chance, quand ils collaborent à des productions mainstream, de se voir autoriser à garder leur caractère subversif, adouci mais agissant de manière virale – voir la participation des deux premiers à Megamind, et le premier rôle de Carell dans The office. Éric et Ramzy, pour leur part, ont pu observer à deux reprises qu’une telle latitude ne leur serait pas accordée en France. Double zéro et Les Dalton ont été en cela des expériences aussi douloureuses pour eux que pour le public, et dorénavant on ne les y reprendra plus, quitte à laisser à d’autres les high scores au box-office.

Le réalisateur de Halal police d’état n’est certes ni un auteur brillant comme pour Steak, ni Éric et Ramzy eux-mêmes comme pour Seuls two. C’est un yes man anonyme1, mais la mention en tête du générique que les auteurs du scénario sont Éric et Ramzy explicite clairement où se trouve le(s) cerveau(x) du film. Et les choses sont encore plus claires une fois le dit scénario entièrement déroulé, celui-ci n’ayant de toute évidence été retouché par aucune main extérieure et « raisonnable ». Halal police d’état est un ovni savoureusement déraisonnable, insensé. Le mince prétexte narratif qui envoie un duo d’inspecteurs algériens, Nerh-Nerh et le Kabyle, assister la police française sur une affaire de tueurs en série d’épiciers maghrébins dans le quartier parisien de Barbès, est constamment mis au supplice par la frénésie burlesque du duo. Ils n’ont pas la plus petite bribe d’intérêt pour la consistance de leur intrigue, s’amusant au contraire à la miner eux-mêmes en permanence – expression à prendre au pied de la lettre, puisque ce travail de sape commence dès l’exposition (les compétences mises en évidence des deux « inspecteurs » sont pour l’un de jeter des cailloux sur les gamins de son village, et pour l’autre d’avoir été interné puis de travailler activement à l’établissement d’un contact avec les extraterrestres), et reste actif jusqu’au dénouement qui voit les deux héros oublier temporairement qu’ils ont trouvé l’identité du coupable.

A cela, il faut ajouter une pratique de la digression élevée au rang d’art, au point d’inverser les rôles ; la digression s’accaparant le cœur du film, et l’intrigue devenant la digression. Des idées de gags venant parasiter une scène, Éric et Ramzy en ont sans cesse. De toutes les tailles, et de tous les genres – relever l’ensemble des détails absurdes et gratuits qui s’amoncellent en marge du récit, sous forme visuelle ou de petite phrase, est probablement impossible à la première vision2. Mais ce qui dérègle véritablement les choses, c’est qu’ils ne se privent pas pour intégrer tous ces écarts à leur script, même les plus gros, et de les pousser aussi loin que leur fantaisie comique échevelée le permet. Des fois cela fonctionne du premier coup (les post-it dans la chambre d’hôtel ; le stratagème absurdement complexe du tueur pour se débarrasser des héros), des fois c’est la deuxième ou troisième blague de la cordée qui est la bonne (la rencontre avec l’extraterrestre) et, oui, des fois cela tombe tout entier à plat (ce qui se rattache à la romance entre Nerh-Nerh et la danoise Hilguegue). Mais la manière de procéder du duo dépasse justement cette logique d’efficacité, de comique-pourcentage ; elle n’a d’yeux que pour son insoumission aux règles et garde-fous en tous genres, sa liberté qui garantit sa validité et sa vitalité.

Des garde-fous, Éric et Ramzy ne s’en sont pas non plus imposé lorsqu’il s’agit d’aborder les questions communautaires auxquelles l’histoire de Halal police d’état mène inévitablement. Leur première confrontation avec ce genre de problème du « vrai » monde est une réussite, puisque le film qui en découle est un digne successeur de OSS 117, Le Caire nid d’espions. Son postulat de départ en est le miroir (des nord-africains viennent en France avec leurs préjugés et leurs coutumes, plutôt que l’inverse), et le résultat est encore plus subversif. Car cette fois, tout le monde en prend pour son grade, et avec véhémence. Les blancs sont racistes – excellente séquence de l’arrivée de Nerh-Nerh et du Kabyle en France, où ils sont contrôlés toutes les cinq minutes – et d’une intelligence bien plus moyenne qu’ils ne le croient ; mais les arabes ne valent pas mieux, le Kabyle combinant polygamie et burqa pour ses deux femmes et Nerh-Nerh et lui se répandant en élucubrations xénophobes sur les tunisiens ou les chinois. Avec ces derniers, l’ambivalence brillante du film atteint d’ailleurs des sommets. Après un long monologue fabuleusement con du Kabyle à l’intention d’un policier français d’origine chinoise, sur les mains de macaques dont lui et ses congénères seraient affublés, une coupe nous révèle que l’une des mains de son interlocuteur est effectivement simiesque, et non humaine. Que faire d’une telle scène ? Go figure, comme on dit en anglais. On ne connaissait pas Éric et Ramzy aussi outranciers et caustiques3. On ne voit aucune raison de s’en plaindre.

1 au point que sur la version mobile d’Allociné, ce sont Éric et Ramzy eux-mêmes qui sont crédités au titre de réalisateurs…

2 mon préféré : le mug que le Kabyle a invariablement en main dans chaque scène, avec invariablement un motif différent

3 voir aussi les piques sur « Gonzague Hortefeux » ou l’immigré clandestin français expulsé d’Algérie

Laisser un commentaire