• Edward aux mains d’argent, de Tim Burton (USA, 1991)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur

Quand ?

Jeudi soir il y a quinze jours, à 21h15

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

J’avais gardé de ma dernière vision d’Edward aux mains d’argent, il y a quelques années, le souvenir d’un conte superbe dans sa forme exubérante et poignant dans son propos mélodramatique. Choses qui n’ont pas disparu, mais doivent dorénavant faire de la place à un party crasher aussi inattendu qu’encombrant : l’absolue détestation du sexe qui habite le film, un point que je n’avais auparavant jamais remarqué et qui cette fois m’a frappé au cours de la projection. La double étincelle à l’origine de la déchéance du héros Edward, alors qu’il était devenu un membre apprécié et créatif de la communauté, est le fait de désirs sexuels contrariés (une femme du quartier voulant coucher avec Edward, un lycéen bourrin qui se voit privé de sa copine par celui-ci) poussant les personnes en question à vouloir se venger cruellement. A cela, il faut ajouter les circonstances parfaitement asexuées de la naissance d’Edward, puisque sans rapport sexuel et même sans accouchement ; et son retour final à ce monde monacal, où l’amour devient une affaire purement cérébrale et purgée de tout contact physique. Enfin, le récit en flashback du conte par son héroïne nous est opportunément fait alors que la vie sexuelle de celle-ci est derrière elle ; les hypothétiques retrouvailles entre elle et Edward seraient donc sans aucun « risque ».

Tout cela concourt à cloîtrer Edward aux mains d’argent dans une bulle de rejet du sexe, bulle qui semble bien (il faudrait revoir l’ensemble des œuvres) se propager de film en film chez Burton, en faisant constamment de ce sujet un signe de malfaisance ou une source de danger. Que le cinéaste soit ainsi extraordinairement pudibond est ironique, car cela le met tout à fait en phase sur ce point avec la majorité américaine, celle-là même qu’il est si enclin à critiquer acerbement en tant que masse informe et difforme. Toutefois, pour Edward aux mains d’argent comme dans nombre de ses autres longs-métrages (cf. le chef d’œuvre Mars attacks ! où les adeptes des plaisirs de la chair sont parmi les plus durement châtiés) cet aspect de sa personnalité n’a rien d’importun en soi. L’impact négatif sur la valeur du film vient plus de la construction du récit fondé sur cette opinion. Même pour un conte, genre par nature schématique et fait de symboles plus que de figures réelles, Edward aux mains d’argent manque parfois singulièrement de finesse et de retenue dans les antagonismes qu’il dresse, et dans la manière dont il les fait se résoudre. Dans ces moments, son manichéisme devient appuyé à trop gros traits pour rester protégé par le bien-fondé de sa lutte, celle des marginaux contre les gens « normaux » à la vie facile.

Ce travers reste suffisamment circonscrit pour ne pas égratigner trop sévèrement la belle surface du film. L’essentiel du temps, celui-ci fait étalage d’une candeur et d’une grâce merveilleuses. Burton concilie l’esprit intemporel du conte et les atours du monde moderne, ancré dans le temps présent. Il bâtit le premier à partir du second. Aux zones pavillonnaires standardisées et à leurs occupants aux existences désolées extérieurement et intérieurement, il oppose la vie qui coule par miracle dans les veines mécaniques d’Edward, sa créativité, sa sensibilité à fleur de peau, sa bonté indéfectible. Chacun des deux camps mis en balance voit ses particularismes figurés sous des formes aussi simples qu’éloquentes : l’emploi de monochromes éclatants pour peindre le quotidien des humains, le miracle de la neige qu’Edward fait tomber sur la ville, sont deux exemples d’un propos élémentaire sublimé par la manière dont il est exprimé artistiquement. Pour apporter la touche finale à son rêve torturé d’enfant qui refuse catégoriquement de rejoindre le monde des adultes, Burton a trouvé en Danny Elfman le collaborateur idéal. La musique de ce dernier, possiblement la plus belle qu’il ait signée pour un film, est en harmonie parfaite avec la tonalité distillée par Edward aux mains d’argent. Elle en est ainsi l’écrin féerique.

Laisser un commentaire