• Détective Dee : le mystère de la flamme fantôme, de Tsui Hark (Hong Kong, 2010)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Mardi soir, en avant-première

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Roulez tambours, sonnez trompettes : l’immense Tsui Hark est de retour. Le plus grand cinéaste hongkongais de sa génération, et l’un des créateurs de formes et de mouvements les plus géniaux à l’échelle de la planète, n’a certes jamais vraiment arrêté de tourner. Mais un seul de ses longs-métrages nous est parvenu en dix ans, le « grand film malade » Seven swords. Le premier mérite de Détective Dee est de mettre fin à notre disette, en tant que spectateurs. Son second mérite est d’en faire de même pour Tsui Hark ; car si ses œuvres « invisibles » des années 2000 ne jouissent vraiment pas d’une réputation très reluisante, il renoue ici avec l’excellence et la magie de sa mise en scène, source par le passé d’une demi-douzaine de chefs-d’œuvre auxquels Détective Dee vient se rajouter.

Les deux dernières entrées de cette liste de chefs-d’œuvre avant Détective Dee, The blade et Time and tide, étaient des films extrêmes à tous points de vue : quasiment expérimentaux dans leur forme, porteurs d’une énergie faramineuse qui les fait scintiller de mille feux mais pour cela doit les consumer intégralement. Et en cela, extrêmes car ils constituent chacun une terminaison dans son genre (le film de sabre et le film d’action contemporain), un horizon insurpassable ; le point de non-retour, au-delà duquel la vitesse et la fièvre déployées ne sont tout simplement plus contrôlables. Détective Dee, pour sa part, est le film de la renaissance, du retour aux sources. C’est un modèle de cinéma généreux, fécond, chaleureux, qui n’aspire qu’au plaisir – le sien, le notre – et le trouve dans le bonheur simple de piocher à volonté dans le coffre à jouets du cinéma d’aventures. Le coffre en question ayant plutôt les dimensions et l’opulence de la caverne d’Ali Baba, on voit bien comment Tsui Hark peut remplir les deux heures de son récit de merveilles en tout genre sans jamais avoir à recourir au surrégime. D’entrée, le foisonnement d’univers et de genres convoqués nous envoûte. Un texte introductif nous promet de ténébreuses intrigues de palais dignes de Dumas, le déroulement à l’écran de ce texte et l’enchaînement soudain sur des premières images au contenu démesuré (une cité médiévale chinoise à l’apogée de sa splendeur, au cœur de laquelle trône une statue de Bouddha de 200 mètres de haut quasiment achevée) évoque Star wars, tandis que l’élément déclencheur de l’intrigue – une combustion spontanée – sort tout droit d’un épisode de La quatrième dimension ou des X-files. Quand le générique arrive, on ne tient déjà plus en place.

L’immense qualité du film est de ne jamais rompre le pacte scellé dans ces premiers instants entre lui, nous, et le récit. Les trois parties avancent de concert, sans qu’il soit question de monter deux d’entre elles contre la troisième ; soit en se complaisant dans la facilité du second degré, d’une connivence entre réalisateur et public tous deux soi-disant au-dessus du récit, soit en jouant la carte de la manipulation du spectateur, de sa rétrogradation forcée dans un rôle de pantin impuissant que l’on ballade sur des fausses pistes qui ne seront infirmées qu’au terme du récit. Et ce n’est pas tout. Aucun décor ne sera moins que grandiose et stimulant, aucun personnage moins que charismatique ni aucun danger moins que mortel ; aucune séquence ne sera moins que trépidante, ni ne comportera moins que son quota de secousses, qu’elles soient provoquées par les révélations en cascade du scénario ou par les scènes d’action foudroyantes et exubérantes. Détective Dee possède cette prodigalité et cette vitalité que l’on retrouve chez des réalisateurs comme Guillermo Del Toro (Hellboy) ou Peter Jackson (King Kong) mais portées encore plus haut, tout simplement parce que Tsui Hark est plus doué, plus inventif, plus fou. Il nous fait rejoindre cet état d’émerveillement habituellement réservé à l’enfance, avec son histoire à dormir debout ou bien à rêver éveillé, on ne sait plus trop bien. Son appétit de cinéma, d’aventures exaltantes, de visions fabuleuses (l’intérieur du Bouddha, le Marché Fantôme tapi sous la ville, la cour du Monastère Sacré…) est insatiable, et son talent à la hauteur du défi qui en découle : préserver l’équilibre volontairement instable – et de ce fait grisant – entre toutes ces richesses amassées dans des quantités qui dépassent les limites du raisonnable.

Hark fait cohabiter le gigantisme épique et l’intime (les héros et les enjeux qui les motivent ne sont jamais écrasés, bien au contraire), l’humour et la tragédie, la magie et la technologie, les doubles jeux manipulateurs et des valeurs de loyauté, la célérité et la limpidité… l’ancien et le neuf, aussi et surtout. La plastique du film est résolument ancrée dans le présent – des images de synthèse à foison, un usage inspiré du numérique pour élargir l’éventail des possibilités formelles (intelligibilité des scènes nocturnes, netteté des inserts en gros plan…) – alors que sa fraîcheur d’esprit le rapproche des épopées d’antan, feuilletonesques de pied en cape et au premier degré intégral. Les acteurs sont comme nous, ils s’amusent énormément, Andy Lau en tête dans le rôle-titre. Le numéro de funambule exécuté par le cinéaste est renversant, d’autant plus qu’il ne se départ jamais d’une fluidité totale, tant du point de vue narratif que visuel. Détective Dee rayonne de la maîtrise d’un cinéaste au sommet de son art, qui n’a désormais plus besoin de se mettre en danger pour exprimer le meilleur de lui-même. Ce qu’il fait est dès lors au-delà de la réalisation d’un film d’aventure à grand spectacle haut de gamme : il redéfinit ce qu’est le haut de gamme.

J’ai gardé le meilleur pour la fin, les scènes de combat au sabre (ou autres armes, à la convenance des duellistes). Ma préférée est celle contre le Grand Prêtre dans les canaux de la ville souterraine, mais toutes sont splendides, inventives, endurantes – aucune n’est redondante par rapport à la précédente, et aucune ne s’achève en nous laissant sur un sentiment d’inachevé. Un concentré de tout le savoir-faire hongkongais en la matière, et de toutes les qualités que possède Détective Dee.

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