• Cogan, de Andrew Dominik (USA, 2012)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

A l’UGC George V

Quand ?

Mercredi, à 10h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Dans le bréviaire du langage des critiques de cinéma, la formule lapidaire « ça n’a pas sa place à Cannes » figure en bonne position. Elle exprime le revers de la médaille du niveau de qualité suprême visé par le festival, et donc escompté par les festivaliers : tout film pris à céder à la médiocrité, l’insignifiance ou la désuétude est descendu en flammes avec une virulence décuplée. Ce genre de long-métrage, on les tolère tout juste quand on les voit dans les salles de tous les jours, mais les croiser sur la Croisette, cela relève de l’inacceptable. Cette année les américains ont réalisé un quasi grand chelem, trois de leurs quatre films en compétition ayant fait dire aux critiques, d’une voix presque unanime, « ça n’a pas sa place à Cannes ». Seul Mud, de Jeff Nichols, a échappé à la noyade en chœur de Paperboy, Des hommes sans loi et Cogan. Je suis resté à bonne distance du premier, mais l’équipe de Kaboom l’émission m’a forcé à aller voir les deux autres. Sans doute afin que je puisse confirmer a posteriori que « ça n’avait pas sa place à Cannes ».

Si l’on rentre dans les détails, Cogan s’abîme encore plus bas que Des hommes sans loi. Le second n’était « que » ordinaire et sans grand intérêt, quand le premier cumule tous les défauts évoqués plus haut : indigent, creux, périmé. Le résultat est d’un ennui immense, puisque le film n’a à son actif aucun moyen d’emporter notre adhésion. Il l’a cela dit bien cherché, en faisant l’impasse sur toute possibilité d’une appréciation au premier degré de son intrigue. Celle-ci est déjà on ne peut plus mince et convenue (une poignée de minables vole la caisse d’un tripot de la mafia, la mafia se fait justice elle-même en envoyant un tueur à gages), mais en plus Andrew Dominik prend le parti de vider de leur substance ses protagonistes. Pas question que l’on s’intéresse à eux en tant qu’individus, pour les aimer ou les haïr, les admirer ou les mépriser ; ils ne sont que des automates positionnés avec précision dans le grand schéma dialectique de leur auteur et exécutant mécaniquement chacun sa part de l’engrenage.

Drainé de toute humanité, Cogan ne se laisse comme solutions pour espérer exister que le style et le propos. Manque de chance (ou de talent), il échoue dans les grandes largeurs dans sa quête de l’un et de l’autre. La pauvreté de la forme est totale. Imaginez des dialogues lorgnant vers Tarantino mais complètement dénués de musicalité et d’esprit, et vous obtenez les piteux bavardages sans fin de Cogan. Et Dominik s’entête dans l’affiliation avec Tarantino, en s’essayant à la compilation d’une bande-originale en forme de collage pop vintage affirmant sa présence par son rapport jamais neutre à l’action. Là encore, on n’a d’autre option que de le recaler tant ses choix sont empruntés et dénués d’ingéniosité. Une sentence qu’il est possible de reprendre à l’identique pour parler des effets de manche visuels, particulièrement embarrassants dans leur façon de se croire novateurs quand ils sont en réalité terriblement datés. Pourtant, lorsque Dominik consent à filmer une séquence au premier degré, sans la faire enfler d’aucune sorte mais en la laissant durer et se développer, cela fonctionne : le braquage du cercle de jeux, plus loin un tabassage à poings nus sous une pluie drue, font sourdre une énergie malsaine, dérangeante, que par ailleurs le réalisateur dilapide par tous les moyens.

La lourdeur de la mise en scène de Cogan n’est cependant rien comparée à celle de son discours. Dominik situe son histoire à l’automne 2008, quand l’effondrement de Wall Street s’est télescopé avec la campagne présidentielle et l’élection d’Obama. C’est un euphémisme que de dire qu’il n’y va pas de main morte pour faire le rapprochement entre cette grande histoire et la petite vécue par ses personnages. À un premier tiers où pas une scène n’échappe à une ponctuation par un extrait de discours, à la télévision ou à la radio, succède un deuxième plombé par une métaphore aussi délicate qu’un troupeau de rhinocéros – l’organisation mafieuse pour laquelle travaille le personnage de Brad Pitt comme allégorie du système politico-financier, aux responsables pusillanimes et invisibles, et aux larbins jetés en pâture pour satisfaire la colère. Et, quand on pense que Dominik ne peut pas faire plus laborieux, il nous prouve le contraire. En conclusion de son récit, il nous soumet une notice explicative où sont couchées noir sur blanc dans les dialogues l’intégralité des idées qu’il souhaitait faire passer. Sa manière ostentatoire de clore le film immédiatement après la dernière réplique ne laisse pas de doute quant à l’importance qu’il entend donner à celle-ci. Il n’y a vraiment pas de quoi : avec ce « America’s not a country, it’s just a business », Dominik se place en favori pour l’Oscar de l’enfonçage de porte ouverte. Là encore, il y avait ailleurs dans Cogan d’autres choses plus discrètes (le décor de quart-monde composé par les maisons délabrées, la vieillesse pénible des personnages dont la gloire est derrière eux) et bien plus efficaces.

Laisser un commentaire