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- Cinquante nuances de Grey, de Sam Taylor-Johnson (USA, 2015)
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Au ciné-cité les Halles, dans l’une des trois grandes salles
Quand ?
Dimanche soir il y a huit jours, à 19h30
Avec qui ?
MaBinôme, excédée
Et alors ?
Cinquante nuances de Grey n’est pas uniquement un navet, c’est aussi et surtout un film désagréable – voire détestable, nul besoin de retenir ses coups – à tous les niveaux. À mesure que la séance avance, son secret se révèle progressivement : personne ne croit à ce qui se passe dans le récit, sur l’écran, et personne ne fait même semblant d’y croire. Cela vaut tout le long de la chaîne allant de l’amont du film (la romancière improvisée E.L. James) à son aval (les spectateurs), en passant par ceux qui ont œuvré dessus, réalisatrice, comédiens, compositeur (Danny Elfman cachetonne comme peu d’autres ont osé le faire). Cinquante nuances de Grey n’a rien de vrai, de franc à donner, et le public ne lui demande rien de tel. Le cinéma de divertissement de masse atteint ici un nouveau zéro absolu, conséquence de son étranglement par un cynisme qui fait disparaître tout le reste – et sans même l’excuse (déjà moyennement recevable) de l’ironie, maniée par les franchises James Bond ou Marvel.
Comme ces derniers Cinquante nuances de Grey n’a plus grand-chose à voir avec un film, et tire plutôt vers le véhicule marketing pour nous vendre tout autre chose – pêle-mêle dans le cas présent, le CD de la bande originale, des sex toys estampillés 50 nuances, des ordinateurs Apple et même des Audi (!). L’implication au premier degré des gens qui font le film est inexistante. C’est le premier point sur lequel l’opposition avec un autre long-métrage sorti récemment, Une nouvelle amie de François Ozon, s’affiche nettement. Dans Une nouvelle amie, l’implication du réalisateur et de toute sa troupe, devant et derrière la caméra, est évidente. Ils croient en ce qu’ils racontent, le message qu’ils portent est important pour eux. Et cela compte, lorsque l’on fait un film qui traite des rapports amoureux, et de comment on s’accomplit à travers eux en tant que personne, dans sa vie intime. Sur ce thème fondamental, Une nouvelle amie est aussi précieux que Cinquante nuances de Grey est mauvais.
Prenons la considération – ou son absence – du fantasme du personnage masculin dans les deux cas. Le travestissement de David / Romain Duris est un sujet véritablement considéré et développé chez Ozon, dont l’un des buts (atteints) est de faire ravaler au public bas de plafond ses rires gras à la première apparition de son protagoniste habillé en femme. Ozon, Duris sont indéfectiblement avec David, et leur sincérité soutenue par leur talent fait que le spectateur finit par être lui aussi avec David, à souffrir et espérer avec lui. Pour leur part, E.L. James, Sam Taylor-Johnson, Jamie Dornan (son interprète en carton) se contrefichent des tendances BDSM de Christian Grey, traitées comme un gadget ridicule et jamais pris au sérieux. On reste au ras des pâquerettes, façon double page de mauvais magazine féminin débitant les clichés superficiels et ne visant qu’à émoustiller éphémèrement la ménagère. Ce en quoi la boucle est bouclée, puisque c’est probablement en lisant de tels articles que James s’est mise en tête de coucher sur le papier sa fan fiction explicitant platement et tristement les enjeux de Twilight (vampire = sexe sauvage et dangereux, quelle révélation).
Simple émoustillement éphémère, sans conséquence ni bouleversement véritable, car le modèle de société de Cinquante nuances de Grey est puritain et conservateur. Conservateur car le prince charmant d’Ana, héroïne roturière, est un prince au sens propre conformiste contemporain ; un businessman milliardaire draguant à coups de tours en hélicoptère et de résidences aux allures de palais. Puritain car la différence de Christian est vue comme une déviance, une maladie face à laquelle Ana serait investie de la mission de ramener cette brebis égarée dans le troupeau des croyants en l’amour guimauve et bienséant. Au moins Twilight pouvait-il se réfugier derrière une bonne excuse narrative : si Bella se faisait mordre par Edward, elle en mourait. Pas de safe word pour elle, l’enjeu dramatique était là. Celui de Cinquante nuances de Grey aurait pu (car le film ne s’y attaque jamais) être qu’en définitive, Ana et Christian s’aiment pour la mauvaise raison – chacun veut à tout prix changer l’autre. Au contraire d’Une nouvelle amie, une fois de plus, puisque là chacun aime l’autre pour ce qu’il est, et ne veut pour rien au monde le voir transiger, capituler. Leur bonheur commun est le fruit du soutien mutuel qu’ils se portent, sans souci du qu’en-dira-t-on et des normes exiguës. La société rêvée par Ozon est progressiste, ceux qui l’habitent sont libres, loin de la prison gardée par Ana, Christian et leurs tristes semblables.