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- Chungking Express, de Wong Kar-wai (Hong Kong, 1994)
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Au cinéma les 3 Luxembourg, dans le cadre du panorama de films de Hong Kong présenté à l’occasion du Festival Paris cinéma
Quand ?
Mardi soir, à 22h
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Chungking Express n’est pas une œuvre comme les autres, ayant été initiée et mise en boîte par Wong Kar-wai dans un intervalle de deux mois, alors que la production de son monumental film de sabre Les cendres du temps était mise en suspens. De cette période de doute et de créativité intenses, Wong Kar-wai est ressorti avec non pas un long-métrage accompli et incomparable, mais deux bancals et vibrants. Deux moitiés de grands films valent-elles mieux qu’un seul mais entier ? Peut-être pas, mais la proposition est indéniablement excitante et riche. L’urgence et le besoin d’immédiateté qui ont aiguillé la réalisation de Chungking Express ont certes entraîné le recours à des horizons narratifs élémentaires, qui restreignent le cadre d’expression du film à un petit espace. Cela vaut pour l’aspect géographique comme d’un point de vue émotionnel ; il est aussi rare de quitter la poignée de décors principaux (un bar, un snack, un appartement) que de voir Wong Kar-wai s’aventurer à l’écart de son petit jardin de sentimentalisme.
Ce goût pour l’eau de rose, qui a toujours été au cœur de l’art du cinéaste, prend dans Chungking Express des proportions telles qu’il menace en permanence d’engloutir le film tout entier. Entre les chansons d’amour naïves répétées tel un mantra obsessionnel, et les élans romantiques sans filet qui s’emparent de tous les protagonistes, ni l’univers ni la forme du film n’ont d’autre finalité, grande ou petite, qui ne soit pas en lien immédiat avec le sentiment amoureux. Heureusement, deux choses prémunissent Chungking Express de la noyade. Il y a d’abord le talent visuel de Wong Kar-wai, qui même dilué à l’extrême reste une force évocatrice exceptionnelle. Cet homme est un enchanteur, capable de décocher à son aise des fulgurances qui laissent stupéfait. Par exemple les scènes de poursuites qui rythment le premier chapitre puisent d’une manière brute, à la source, le flux d’énergie étourdissant d’une grande ville dense telle que Hong Kong ; tournées avec un nombre réduit d’images par seconde, elles sont le siège d’un double effet déroutant, de ralenti sur l’action principale et d’accéléré sur les mouvements en arrière-plan.
En plus de son énergie, c’est sa mélancolie qui fait de Chungking Express autre chose qu’un indigeste bonbon à la guimauve. L’amour omniprésent dans le film est une puissance surhumaine, et inhumaine, au même titre que la gravité ou le magnétisme. C’est une autre forme d’attraction entre les corps, qui agit sur les hommes et les femmes sans se soucier des effets, des dégâts. Chungking Express parvient par endroits à transcender son émotivité en un spleen fragile et désenchanté, lorsqu’il s’abandonne tout entier à cette emprise aveugle. Il lui laisse le contrôle de ses personnages, que l’amour prive de tout libre-arbitre, de tout discernement, jusqu’à les rendre temporairement incapables de tenir leur rôle dans la société. Il soumet au bon vouloir de cette force sa structure même, brutalement sectionnée en deux quand nous quittons un couple pour un autre, devenu par le fait du hasard la nouvelle proie avec laquelle l’amour va s’amuser, tel un chat avec une souris. Le témoignage que Wong Kar-wai fait de ce jeu amoral est à la fois beau et triste, enfiévré et inquiet.