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- Ceci n’est pas un film, de Jafar Panahi & Mojtaba Mirtahmasb (Iran, 2011)
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Au ciné-cité les Halles
Quand ?
Mercredi soir, à 20h30
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Jafar Panahi vit et travaille dans un pays gouverné par des gens formidables, l’Iran. Enfin, il n’y travaille plus depuis que les gens formidables en question l’ont fait arrêter parce qu’il ne les trouve pas assez formidables, et condamner à vingt ans d’interdiction de réaliser des films ou écrire des scénarios – en plus d’une peine de six ans de prison, et de l’interdiction de s’exprimer dans tout media quel qu’il soit. La même sanction s’est abattue en même temps sur un de ses collègues, Mohammad Rasoulof. Mais l’un comme l’autre sont des cinéastes par vocation, et non par gagne-pain ; ils ont besoin de faire des films. Début 2011, Rasoulof a donc réalisé clandestinement Au revoir (encore visible en salles), dont le tournage était prêt à débuter au moment de son arrestation. Panahi avait lui aussi un long-métrage en préparation, mais qui devait se faire hors de Téhéran – où il est assigné à résidence dans l’attente de la décision de la cour d’appel sur sa condamnation. Alors, à défaut de faire ce film, il a l’idée de le raconter. Il appelle pour cela un ami réalisateur de documentaires, Mojtaba Mirtahmasb, et lui demande de le filmer lisant son scénario. Car, comme il le dit avec malice, « on ne m’a pas interdit de faire l’acteur ni de lire un scénario ».
C’est là l’origine de Ceci n’est pas un film. L’origine seulement, et pas plus, pas le dispositif d’ensemble, car assez vite Panahi va revenir sur son idée. Elle fonctionne, pourtant, apportant à Ceci n’est pas un film son premier moment fort avec la création par le cinéaste, avec les moyens du bord, de la scène d’ouverture de son film en suspens. On le voit improviser une réplique sommaire du décor (une chambre à coucher modeste) au milieu de son salon, en délimitant ses dimensions avec du ruban adhésif sur le tapis, en faisant d’un coussin le symbole d’un lit et d’une chaise le pan de mur sur lequel se trouve une fenêtre. C’est Dogville sans les calculs et raisonnements théoriciens excessifs, et avec l’énergie du désespoir, de l’urgence. Panahi entre dans son décor, lit le scénario, la caméra de Mirtahmasb le filme en respectant ses indications de cadre. Pour renforcer encore l’évocation, Panahi montre des images prises avec son téléphone portable du vrai lieu de tournage qu’il avait trouvé, de l’actrice qui devait jouer le rôle principal. Et alors… il s’arrête, au bord des larmes. Frappé par un constat effrayant : « à quoi ça sert de faire des films, si on peut se contenter de les raconter ? ».
Ce qui ressemble alors à un cul-de-sac est en vérité une porte de sortie par le haut. Pour expliquer l’émoi qui l’a empêché de poursuivre son faux film, Panahi se fend d’une leçon de cinéma basée sur des exemples tirés de sa filmographie – une improvisation d’acteur dans Sang et or, un décor dans Le cercle viennent transcender à l’écran ce qui était couché sur le papier. A partir de ce moment de bascule, et pour toute sa seconde moitié, Ceci n’est pas un film ne traite plus de films mais bien de cinéma. Sans le savoir, et presque sans le vouloir, Panahi et Mirtahmasb se lancent dans une mise en pratique d’une phrase de Godard dans une interview donnée à l’occasion de Film socialisme : «les films sont une forme réduite du cinéma ». Un film est un monde clos, le cinéma est ouvert au monde. Par sa simple présence, Panahi est un sujet à observer, porteur de tragédie (l’interdiction de tourner), de comédie (l’iguane domestiqué avec lequel il cohabite dans l’appartement), de suspense (l’assistant arrêté par la police en voiture). L’obligation de discrétion génère une unité de lieu et de temps – l’appartement, pendant une unique journée – forcée mais particulièrement stimulante. Le hasard du calendrier fait surgir hors champ, mais à portée d’ouïe, un événement cinématographiquement parfait : la « fête du Feu », une célébration officiellement interdite mais officieusement tolérée par le régime, d’où il s’ensuit un mélange d’excitation et de peur. Même la technologie est porteuse de cinéma. Le lecteur DVD du salon permettait à Panahi de montrer à la volée des extraits de ses anciens films ; la fonction vidéo de son téléphone portable rend possible la réalisation, quasiment la réinvention, de champs / contrechamps entre lui et Mirtahmasb.
Le cinéma est donc là, partout, tant que « les caméras sont laissées allumées » ainsi que l’affirme, comme une profession de foi inviolable, Mirtahmasb. Ceci n’est pas un film en est l’affirmation éclatante. Il ne faut dès lors pas s’étonner qu’une fois (ré)engagés pleinement sur cette route, les deux hommes voient apparaître devant eux en l’espace de quelques instants un personnage, une aventure, et une conclusion dramatique intense et superbe. C’est là leur récompense pour leur croyance réaffirmée, et invincible.