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« Des seaux d’eau sur Cannes toute la journée », dixit la présentatrice de la météo sur la chaîne info ce matin. Tout est dit. Un jour à faire toujours la queue sous la pluie, donc, avec des fortunes très diverses selon les salles.
À celle de la Quinzaine, c’était business as usual, car les débuts des files d’attente sont couverts (oh joie), et le Théâtre Marriott est si grand qu’il n’est jamais complet aux séances de 9h. On est donc raisonnablement peu à attendre, et on attend raisonnablement peu longtemps. Mais cette année ces séances de 9h ne me réussissent pas : après les semi-déceptions du Congrès et du Géant égoïste, j’ai expérimenté ce matin mon premier dégoût du Festival devant Blue ruin de l’américain Jeremy Saulnier. Blue ruin narre une histoire de vengeance personnelle, facilitée par la libre circulation des armes à feu si chère aux USA. Le sujet est abordé sans recul, sans contrechamp, sans mise en perspective. Cette vision réductrice, couplée aux justifications aussi minables que honteuses que tente de se donner le film, conduit à la débâcle. Saulnier fait comme s’il n’y avait pas d’alternative à la vendetta et à l’escalade de la violence. Il considère ceux qui s’entretuent comme non responsables de leurs actes, donc non condamnables. Cela vaut approbation, même s’il me semble au vu de la conclusion que le film vise peut-être la dénonciation – c’est dire l’ampleur du ratage. Sur un sujet très similaire, Jeff Nichols démontrait dans Shotgun stories une toute autre intelligence humaine, ainsi qu’un talent bien supérieur. Car Saulnier croit faire du style mais ne fait que de la pose (la couleur bleue omniprésente), imagine multiplier les péripéties mais creuse pour cela la stupidité de ses protagonistes, veut impressionner avec des accès de gore d’une totale gratuité. À la casse, la ruine.
À la Semaine de la Critique, les trombes d’eau ont fait des miracles : jamais je n’ai vu les badgés Cannes cinéphiles gagner le droit d’entrer aussi tôt dans l’étriquée Salle Miramar. La sélection de la Semaine était décevante l’an dernier, mais cette année on y trouve déjà deux splendeurs, For those in peril s’ajoutant à Salvo découvert le premier jour. Comme les réalisateurs de ce dernier, l’écossais Paul Wright frappe un grand coup dès son premier long-métrage, fort d’une hardiesse et d’une tenue sensationnelles. For those in peril m’a bouleversé, j’en suis ressorti tremblant d’émotions. À partir d’un sujet d’une grande concision (le naufrage d’un bateau de pêche qui ne laisse qu’un unique survivant, dont le grand frère était également à bord), Wright accomplit des merveilles en tournant complètement le dos au deuil en toc façon rubrique des faits divers ou soap-opera. Il va gratter là où ça fait vraiment mal, dans l’impossibilité d’oublier, dans le déni qui tourne à la folie. Le héros Aaron, écrasé de l’extérieur par le rejet du village à son encontre, est de plus dévasté intérieurement par le vide qui a pris la place du rapport fusionnel qu’il entretenait avec son frère. Dans cette première partie Wright convoque l’esprit de Malick – la force du paysage, la hantise des souvenirs, le murmure des voix-off s’agrègent et forment une perception nouvelle. Affaibli, dérouté, Aaron s’abandonne ensuite à une légende pour enfants du port de pêche, à laquelle il confère une réalité offrant une planche de salut. For those in peril vire alors vers Moby Dick, sans rien délaisser de ses qualités antérieures. La puissance du film continue à croître jusqu’à atteindre son paroxysme dans le déchirant dénouement, dont la bascule magnifique vers le merveilleux m’a achevé. Paul Wright semble savoir déjà tout faire, y compris écrire de superbes personnages : son héros dégage une aura incroyable, les rôles secondaires sont tout aussi forts. Mon incontestable immense coup de cœur d’un début de festival pourtant riche en grands films.
Enfin, aux abords du Grand Théâtre Lumière, rien de bon n’est venu du déluge. J’espérais qu’il découragerait les invités de se rendre à la projection de Jimmy P. d’Arnaud Desplechin, de retour en compétition officielle ; il n’en a rien été, l’attrait de la présence devant la caméra de Mathieu Amalric et Benicio Del Toro a été plus fort. Et aucune personne de la file d’entrée de dernière minute n’a été autorisé à entrer. 1h30 (le temps d’un film) de queue les pieds dans l’eau, sous la pluie battante, pour rien. Ça ne peut pas toujours sourire.