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- Birdman, de Alejandro Gonzalez Iñarritu et Inherent vice, de Paul Thomas Anderson (USA, 2014)
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Au Louxor
Quand ?
Mercredi soir, à 21h30 et samedi soir, à 22h
Avec qui ?
Seul, et MaBinôme
Et alors ?
Le triomphe de Birdman aux Oscars – quatre récompenses, Meilleur Film, Réalisateur, Scénario original et Meilleure Photographie – rappelle celui de The artist trois ans plus tôt. Dans les deux cas l’académie a récompensé la combinaison d’une déférence venant de l’étranger à l’égard de la culture américaine (le français Hazanavicius célébrait l’âge d’or d’Hollywood, le mexicain Iñarritu investit les théâtres de Broadway) et d’une performance formelle ostensible – la reproduction d’un film muet en noir et blanc dans The artist, le filage en continu via un plan-séquence en apparence ininterrompu dans Birdman. Sur ce plan de la performance pure, le film d’Iñarritu est effectivement d’une grande puissance. Le cinéaste ne se contente pas de seulement imiter, comme le faisait Hazanavicius ; il invente véritablement quelque chose. Birdman perce une voie nouvelle, celle d’un théâtre « 2.0 » dopé aux moyens infinis du cinéma numérique.
Tous les positionnements et mouvements de caméra, toutes les incrustations et tous les raccords sont aujourd’hui possibles. Cela permet de matérialiser n’importe quel souhait de plan-séquence, sur n’importe quelle durée (y compris un film quasi-entier, comme ici) ; plus intéressant, cela permet de recréer au cinéma les règles du théâtre tout en s’affranchissant de ses contraintes. Les règles : la continuité de l’action, avec des ellipses entre les actes ; les entrées et sorties de scène des comédiens, les permutations de décors ; le balancement du texte entre la narration d’une histoire et des moments introspectifs, où les personnages expriment leurs états d’âme et les acteurs leur talent. Les contraintes : limitation physique à la surface de l’estrade, temporelle à une durée supportable par le public, spectaculaire à ce qu’il est possible de réaliser comme effets spéciaux en direct, avec les moyens du bord. Pièce de théâtre entretenant les règles fondamentales du genre et supprimant les contraintes de forme, Birdman est une performance pionnière et admirable.
Cependant, comme le dit son ex-épouse au personnage principal Reggie (Michael Keaton), le piège est de confondre amour et admiration. Birdman m’impressionne, mais il me fatigue, m’irrite et surtout m’indiffère trop pour que je l’aime. Clé de voûte de sa prouesse formelle, le motif du plan-séquence constamment en mouvement permet à Iñarritu d’accomplir un autre dessein moins plaisant. Par ce moyen il règne en tyran sur son film, ne laissant aucun personnage exister autrement qu’en tant que marionnette dont il tire et casse les fils comme cela lui chante, ne laissant pas plus d’espace aux émotions que de respiration au spectateur. Birdman ne jure que par deux choses, le surrégime hystérique (lourdement surligné par la bande-son à base de percussions, qui sont parfois même montrées à l’écran – double surlignage donc) et le regard cynique porté sur tout et tous.
L’ego d’Iñarritu lui fait considérer qu’il est quoi qu’il arrive au-dessus, d’Hollywood d’une part – moqueries à foison sur ceux qui font les films de super-héros et sur ceux qui les regardent – et de Broadway d’autre part – moqueries à foison sur ceux qui font les pièces de théâtre et sur ceux qui les regardent. Et d’Internet, évidemment, puisque c’est à la mode (mais la presse papier en prend tout autant pour son grade). Relevée d’une bonne dose de provocation vulgaire en toc, à base de slip (blagues scato et blagues de cul volent en escadrilles et en rase-mottes), cette machine à moqueries a vite fait de tourner en rond et à vide. C’est pourquoi Birdman m’énerve finalement assez peu, et produit essentiellement en moi du désintérêt teinté de lassitude : il fonctionne tellement en vase clos, tout entier dédié à la puissance de feu de sa performance (effectivement impressionnante, je le redis) et à la vanité de son auteur, qu’il en devient futile.
Inherent vice m’a fait expérimenter un ennui proche, avec toutefois ses spécificités. Cet ennui-là fut du genre poli, et déçu, forcément, étant donné ma vénération de tous les films précédents de Paul Thomas Anderson (surtout Punch-drunk love, There will be blood et The master). Le cinéaste a toujours créé en solitaire, loin des modes et des genres, et ici pour la première fois j’ai eu le sentiment qu’il lui a manqué quelqu’un pour l’aider à orienter un film partant en roue libre. Adossé au roman éponyme de Thomas Pynchon, Inherent vice s’inscrit dans la tradition des films noirs à l’intrigue nébuleuse, emberlificotée à dessein, à laquelle on ne comprend rien ou si peu. Du Grand sommeil au Big Lebowski et à Lost highway, le film noir sert alors de support pour se lancer dans une autre voie, où le suspense, l’émotion, le trouble émergent de sources inattendues, singulières. Inherent vice ne produit malheureusement ni suspense, ni émotion, ni trouble, à force de nous maintenir étranger à l’état mental du héros-détective Doc, altéré par la prise continue de drogues, et d’émietter ses autres personnages (une douzaine au bas mot, dont aucun n’a droit à plus de trois bouts de scène, toujours en compagnie de Doc). On voit Doc planer, et le monde autour de lui tourner, mais toujours à travers un voile infranchissable, comparable à celui qui nous barre l’accès de certains films des frères Coen (O’ Brother par exemple) – bien qu’évidents, le plaisir pris et l’implication fournie par tous ceux ayant participé à l’aventure restent non communicatifs. Inherent vice est parfois drôle, souvent impressionnant (les plans-séquences, l’utilisation de la voix-off, la faculté à poser une scène, une atmosphère en quelques plans…), limpide dans son propos – à la fin des sixties l’Amérique a gâché une occasion unique, en laissant le capitalisme et ses bandits s’accaparer et vider de leur substance les utopies nées durant cette décennie. Mais tout ceci est en pure perte ou presque. Le film me reste hors d’atteinte, étranger ; et me laisse tristement indifférent.