• Berberian sound studio, de Peter Strickland (Angleterre, 2012)

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Où ?

Au Cinéma du Panthéon (seule salle à diffuser le film)

Quand ?

Samedi soir, à 20h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Moribond mais toujours vaillant, le Festival du film fantastique de Gérardmer continue à servir de tremplin à des pépites marginales, dont la sélection et la récompense vont ouvrir la voie à une distribution en salles. Dans le cas de Berberian sound studio celle-ci est certes très modeste avec une unique copie sur Paris, mais sans son double prix du jury et de la critique il est probable que ce nombre aurait été de zéro. Car le film de Peter Strickland est aussi déconcertant et fuyant que son réalisateur, anglais de nationalité mais artistiquement nomade. Son premier long-métrage, Katalin Varga, se déroulait dans les Carpates, aujourd’hui Berberian sound studio enferme un unique acteur britannique (le stakhanoviste des seconds rôles Toby Jones) dans un studio d’enregistrement et de mixage à Rome. Répondant au nom fleuri de Gilderoy, le personnage a été embauché par un producteur italien pour créer la bande-son d’un giallo intitulé « Le vortex équestre ». De ce film dans le film, on n’acquerra que des bribes d’informations. Strickland ne nous montre aucune des images qui forment pourtant le quotidien des journées de travail dans le studio : sa caméra reste rivée sur les visages des doubleurs, bruiteurs, mixeurs, faisant des rushes projetés du Vortex équestre un contrechamp fantôme.

Les descriptions données des scènes, les rôles tenus par les acteurs (sorcières, vierges et gobelins rituels du cinéma fantasmagorique italien des années 70), les effets sonores créés en studio sont les signes indirects à partir desquels notre esprit est sommé de reconstituer le mirage d’un film qui n’existe pas. Pendant ce temps, une autre imagination tourne à plein régime. Gilderoy, confronté pour la première fois de sa vie à de telles visions d’horreur, glisse petit à petit dans l’aliénation. Pour lui la force traumatisante des supplices exhibés dans Le vortex équestre fauche l’évidence de leur facticité. Leur réalité psychique prend le dessus, en profitant d’une double faille chez Gilderoy : son innocence de caractère (la conception même de ces tortures lui était étrangère) et la détresse qu’il éprouve à se trouver esseulé en terre inconnue – le pays, la langue, les caractères des gens – et donc hostile. L’hommage rendu par Berberian sound studio aux gialli est ainsi particulièrement habile, car jouant sur plusieurs niveaux. Au plaisir ludique et direct de la déconstruction des ficelles et lois du genre, il ajoute un décalage pervers avec la mise en application de ces ficelles et lois à un drame psychologique intimiste a priori sans rapport.

Le mal-être de Gilderoy devient un foyer de cinéma d’horreur. Les bruitages, cris et sonorités d’outre-tombe qu’il supervise deviennent la bande-son de son propre état ; l’image suit le mouvement, avec un découpage qui brouille les repères (on ne voit jamais Gilderoy se rendre d’un endroit à un autre, comme si ce n’était pas sa volonté qui le dirigeait dans ses déplacements), et une composition des plans qui rend le huis clos encore plus angoissant. Cette association presque contre-nature entre cette réalisation-ci et ce sujet-là fonctionne au-delà de toute attente. L’application assidue et inspirée des codes formels du giallo par Strickland engendre une mise en scène tout aussi organique que celle de ses glorieux modèles. Elle rend palpable l’étau de folie qui se referme autour de Gilderoy, en prenant tout son temps comme un serpent ingérant sa proie. Berberian sound studio atteint sa plénitude ténébreuse lorsqu’il s’enfonce dans le cauchemar, un genre de scène pour lequel Strickland se montre extrêmement talentueux. Il y installe son film exactement au bon degré de dissonance vis-à-vis de la réalité, en ré-agençant les briques de celle-ci avec une créativité et une maîtrise superbes. Nous sommes alors rendus à sa merci, prêts à être embarqués dans un final larguant les dernières amarres avec la raison et la santé mentale. Au lieu de quoi, c’est le générique de fin qui surgit. On reste forcément sur sa faim face à cet arrêt abrupt, qui nous prive de dessert et prive Berberian sound studio d’une place parmi les joyaux déviants du cinéma de la terreur.

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