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- « J’ai attendu cela toute ma carrière » : les bonus de Millenium
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Avec Millenium, David Fincher fait une fois de plus honneur à son statut de cinéaste portant la plus grande attention aux suppléments des éditions DVD – et maintenant Blu-Ray – de ses films. La compétition est certes de moins en moins rude (malheureusement, il semble ne plus y avoir que les ressorties collector de vieux classiques qui bénéficient de bonus conséquents), mais Millenium est dans l’absolu impressionnant avec son second disque Blu-Ray dédié aux bonus, dont la durée totale se monte ainsi à quatre heures en plus du commentaire audio du film. Lequel est ce qu’il y a de moins captivant ; seul en piste, Fincher se montre peu inspiré et peu passionnant, ne sortant du ronron des anecdotes et du plan de tournage que lorsqu’il est question de la performance de Rooney Mara ou des effets spéciaux numériques.
L’intérêt du deuxième disque est autrement plus grand. On y trouve un making-of géant, unique mais éclaté en une multitude de modules courts (entre 4 et 20 minutes chacun) disséminés le long du processus de création du film, depuis la définition des personnages principaux à la postproduction, en passant par le tournage en Suède puis en studio à Hollywood. Tous les modules ne se valent pas mais dans le nombre les très bons sont majoritaires. Précisément en raison de leur rattachement à un fragment de l’immense machinerie qu’est tout film hollywoodien, et encore plus quand le réalisateur aux commandes est David Fincher, l’homme aux dizaines de prises par plan et aux tournages qui dépassent largement la centaine de jours. Il s’en amuse lui-même, d’ailleurs, au détour d’un module où il fait mine de se demander avec envie comment Soderbergh parvient à boucler son dernier film en 58 jours. La présence conséquente de Fincher dans les images du tournage et en interview est d’ailleurs l’un des éléments marquants de ce making-of. On ne l’avait jamais autant vu se dévoiler, au propre et au figuré. Il laisse même percer sa vision de la société et des êtres qui la font – noire, âpre, tranchante, à prendre ou à laisser –, vision qu’habituellement il n’exprime que de manière indirecte, au travers de ses films. Et il affirme très franchement ce qui l’a décidé à accepter de réaliser celui-ci, pourtant « encore un film de serial killer » : la prise de conscience que ce qu’on lui mettait réellement dans les mains était une invitation à faire un film (mieux même, une franchise puisque deux suites sont envisageables) à gros budget en prise directe avec le mal, sans retenue ni censure ; sans bride autour du cou. Au contraire, la première des exigences était la fidélité au roman d’origine, avec ses détraqués et ses scènes de torture et de viols. Lesquelles, conçues de façon très investie et réfléchie sur le tournage, sans recherche de spectaculaire infect, sont abordées longuement dans les suppléments comme les séquences-clés qu’elles sont. Comme le dit Fincher, « j’ai attendu cela toute ma carrière ». Et il a saisi l’occasion de fort belle manière.
A le voir en situation sur un plateau de tournage, la boulimie de prises et de jours de tournage de Fincher prend tout son sens : elle est le fait d’un cerveau génial qui n’arrête jamais de cogiter, de porter une attention de tous les instants à tous les détails de la composition d’une scène. Devant la caméra (les accessoires, les tenues vestimentaires sont scrutés minutieusement), autour de la caméra (les idées neuves et techniquement audacieuses de filmer une scène fusent), et même hors de portée immédiate de la caméra (la psychologie des personnages s’affine en permanence d’une prise à l’autre, à coups de références et d’indications pointues). Dans ce même supercalculateur impossible à débrancher qui sert de cerveau à Fincher se niche la cause de sa maniaquerie en postproduction – où il tire profit de la retouche numérique pour potentiellement tout ce que contient le cadre (on le savait déjà), mais aussi pour le cadre lui-même, qu’il rogne, reconfigure ou stabilise selon les cas (information nouvelle, en tout cas pour moi). Toujours pour cette même raison, il s’investit activement dans les aspects les plus périphériques de l’élaboration de l’œuvre : son générique, grandiose, dont il est complètement à l’origine (choix de la chanson, contact du studio d’images de synthèse, proposition du fil directeur) comme le rappelle le réalisateur de celui-ci Tim Miller dans son commentaire audio ; et sa promotion, avec une seconde commande, moins faramineuse, d’une fausse vidéo d’archive d’une émission tv d’affaires criminelles célèbres, pour nourrir la communication virale autour de Millenium sur le web. Le commentaire audio du réalisateur de cette dernière, David Prior, vaut également le détour.
Face à un artiste total et démiurge tel que Fincher, il faut être un partenaire tout aussi passionné et fêlé pour tenir tête. Les monteurs Kirk Baxter et Angus Wall s’y mettent d’ailleurs à deux (le module concernant leur part du travail est l’un des plus captivants, comme c’était déjà le cas sur le DVD de The social network). Parmi les acteurs, très mis en avant au cours du making-of, Daniel Craig / Mikael Blomkvist est sobre et efficace mais effacé – exactement comme dans le film – entre les deux freaks Rooney Mara / Lisbeth Salander et Stellan Skarsgard / Martin Vanger. C’est un grand plaisir que de les écouter elle et lui parler de leur conception de tête brûlée de leur art (plus qu’un métier), de leur approche de leur rôle respectif, de leur préparation en amont – surtout pour Mara, métamorphosée en Lisbeth par son immersion physique et d’allure dans le personnage. Et de les voir à l’ouvrage sur le plateau, dans certaines des joutes ponctuant leur collaboration avec Fincher, mi-entraîneur pressant mi-compétiteur pugnace.