• Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Milos Forman (USA, 1975)

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Où ?

A la maison, enregistré sur Arte

Quand ?

Un samedi matin, fin juillet

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Vol au-dessus d’un nid de coucou est membre d’un club ultra select, celui des films à avoir obtenu les cinq Oscars majeurs : film, réalisateur, acteur, actrice et scénario. Ils ne sont que deux autres dans ce cas, New York – Miami et Le silence des agneaux. La liste est amusante car aucun de ses membres n’a le profil pour être si abondamment récompensé. New York – Miami est une pure comédie qui en prime n’enthousiasmait aucun de ses participants ; Le silence des agneaux a pour personnage principal un cannibale de plus de cinquante ans ; et Vol au-dessus d’un nid de coucou prend place dans un hôpital psychiatrique, du côté des patients. Un positionnement qui rend le film de Milos Forman radical en plus d’être marginal. On y trouve quelques concessions à la norme hollywoodienne – principalement le changement par rapport au roman d’origine du personnage moteur de l’intrigue, ce qui n’impacte toutefois pas la finalité de celle-ci – mais sur l’essentiel, ce cas de greffe dans le milieu du cinéma américain d’un cinéaste européen s’est conclu à l’avantage du second.

La période des années 1970 s’y prêtait, bien sûr. Le cinéma indépendant américain y produisait lui-même des œuvres s’éloignant de la règle de la primauté de l’intrigue sur tout le reste, et employant le récit et les personnages comme des instruments au service d’une vision ou d’un message. Vol au-dessus d’un nid de coucou ne marque donc pas une rupture, mais plus une exacerbation de ce principe en opérant une identification complète entre son propos à l’intention du public, et celui de son héros à l’intention des autres pensionnaires de l’asile. L’un et l’autre professent la même émancipation, faisant ainsi fonctionner le film sur le mode de la parabole, plutôt transparente. L’asile est le monde, les soignants et gardiens sont les représentants de l’ordre – feutré ou dur, c’est selon – qui opprime et asservit, et les fous ce sont nous, citoyens endormis et clôturés de notre propre gré (les hospitalisations volontaires) ou par décision extérieure (à la demande d’un tiers, sur ordre d’un juge). Tout Vol au-dessus d’un nid de coucou consiste en la reproduction, à l’échelle de l’asile et sur des situations diverses, de la lutte de nature politique entre l’ordre, mortifère, et le désordre, source de vie et de plaisir.

L’élément perturbateur, le chien dans le jeu de quilles, c’est McMurphy / Jack Nicholson, transféré de prison en raison de doutes quant à son état mental. La vie monotone de l’hôpital avant son arrivée est exposée dans la première scène du film, où tous les gestes et occupations des uns et des autres se déroulent selon une chorégraphie précise et machinale, ne souffrant aucun écart. Il y a de la part des internés une acceptation tacite de l’ensemble des règles et contraintes qui leur sont imposées ; une soumission à la notion même de règle, qui s’exprime jusque dans leurs jeux de cartes, premier domaine dans lequel McMurphy va faire une démonstration – symbolique – d’insubordination. Les suivantes seront plus sérieuses, donc plus dangereuses, et donc réprimées sans attendre. McMurphy souhaite obtenir une modification des horaires et conditions d’accès à la télévision pour suivre les World Series de baseball, détourne le bus de sortie hors des murs de l’asile pour emmener toute sa bande à la pêche en haute mer, instaure un tripot clandestin dans le dortoir, fait pénétrer alcool et prostituées dans l’établissement pour une veillée de Noël particulière. Par sa mise en scène, Forman prend clairement le parti de McMurphy. En toutes circonstances, il voit la joie et la félicité que ses débordements génèrent, et jamais le danger qu’ils pourraient potentiellement occasionner. La partie de pêche, qui montre tout de même une dizaine de malades psychiatriques seuls pour commander – plus ou moins – un chalutier sans jamais y trouver quoi que ce soit à redire, est l’expression la plus affirmée de cette prise de position.

Pour parvenir à ses fins, Forman combine donc captation documentaire (pour les agissements de l’équipe soignante) et observation légèrement biaisée, porteuse d’une franche bienveillance à l’égard des internés. Le résultat est subtil – il n’y a jamais martelage que les méthodes de l’infirmière en chef, Miss Ratched, sont de nature despotique. Au contraire, Forman tient de toute évidence à nous faire voir dans son attitude à quel point cette femme est persuadée d’être complètement dans le vrai, d’agir dans le meilleur intérêt des patients dont elle a la charge. C’est la juxtaposition des actions de McMurphy et des réactions de Ratched qui vient nous faire comprendre de nous-mêmes, de par l’exemplarité de leur mise en situation, les mécanismes universels de la dictature – laminage de toute initiative personnelle, recours à l’intimidation et au chantage, réécriture unilatérale et soudaine des règles à chaque fois que l’étau menace de se desserrer… Vol au-dessus d’un nid de coucou atteint tout à fait son but. Mais il se prend les pieds dans le tapis dans son final, brouillon et parsemé d’incohérences qui semblent être le produit de ses piétinements et hésitations quant à la meilleure manière de conclure. Le spectre du deus ex machina sort soudain de sa tanière et vient rôder dans les couloirs de l’hôpital. Il transporte avec lui un soupçon de romantisme hollywoodien, qui donne au film une note finale plus triviale dont on se serait bien passé.

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