• Toutes nos envies, de Philippe Lioret (France, 2011)

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Où ?

Au MK2 Quai de Seine

Quand ?

Jeudi soir, à 22h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Déjà associés pour le très beau et très juste Welcome, le réalisateur Philippe Lioret et l’acteur Vincent Lindon confirment avec Toutes nos envies, leur nouveau film en commun, qu’ils se sont vraiment bien trouvés. L’aura d’homme normal modèle du second, dans la lignée de James Stewart et Gregory Peck, est le complément parfait de la nouvelle peau de l’œuvre du premier, qui poursuit dans le sillon des drames humbles, discrètement sociaux et sensibles. La filmographie de Lioret possède une force et une constance qui ne se démentent pas long-métrage après long-métrage, même avec l’évolution du ton doux des débuts – Tenue correcte exigée, Mademoiselle – vers celui plus inquiet qui prévaut désormais, depuis Je vais bien, ne t’en fais pas (et L’équipier, seul film un peu en-deçà des autres). Sans avoir la reconnaissance qu’il mérite, Lioret fait de grands petits films. Mineurs dans leur aspect extérieur, qui ne paie pas de mine, et majeurs dans leur richesse et leur détermination internes.

Lindon possède la figure et le corps idéaux pour porter cette œuvre. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que, dans Toutes nos envies comme dans Welcome, Lioret le fait rentrer dans le récit alors que celui-ci est déjà bien entamé, dans un rôle de soutien volontaire au personnage principal dans les épreuves qu’il traverse. Lindon n’est pas le moteur de l’histoire mais un support ; en cela il est plus proche de la fonction qu’a la mise en scène que de celle du héros. En l’occurrence il s’agit ici d’une héroïne, Claire (Marie Gillain, très bien et que l’on n’avait plus vu à pareille fête depuis presque dix ans – Laissez-passer et Ni pour, ni contre (bien au contraire)). Claire a la trentaine, elle est juge au tribunal d’instance de Lyon, vient d’apprendre qu’une tumeur au cerveau ne lui laisse que quelques mois à vivre. Elle ne dit rien à son mari et ses enfants, et poursuit le combat juridique dans lequel elle s’est engagée avec Stéphane (Vincent Lindon) contre les abus des sociétés de crédit qui abusent du surendettement de leurs clients. Traverser des situations d’une telle magnitude simultanément dans sa vie professionnelle et dans sa vie privée, c’est beaucoup pour un même personnage de fiction. Et cela est peut-être de nature à desservir Toutes nos envies auprès des spectateurs qui ne savent pas qu’il s’agit d’une histoire vraie, chose que Lioret a l’extrême (excessive ?) pudeur de ne pas afficher, à contre-courant de l’exhibitionnisme outrancier en vogue dans le cinéma français ces temps-ci.

Cette histoire a d’abord été racontée par Emmanuel Carrère dans son bouleversant livre D’autres vies que la mienne. Lioret se l’est appropriée à son tour, lui donnant un tour plus mélodramatique que la description sobre, terre-à-terre qu’en donne Carrère (qui ne fait jaillir l’émotion que par son écriture littéraire, et en aucun cas par des manipulations plus appuyées de l’histoire). On peut éprouver de légers regrets sur le principe, mais dans les faits ce mélo est une réussite où tout se voit tiré vers le haut, son genre, ses personnages, son public, grâce à la cohérence dont Lioret fait preuve à tous les niveaux. Dans l’écriture de ses personnages, leur confrontation avec le monde extérieur, l’observation de leurs réactions, il conserve sans cesse comme ligne directrice, comme morale même pourrait-on dire, une exigence d’honnêteté et d’authenticité tout à fait remarquable. Lioret joue sur des ficelles émotionnelles certes simples, mais toujours produites par la réalité et non l’inverse. Il n’a jamais recours au travestissement de cette réalité, même et surtout pour l’embellir ou la rendre plus confortable. Tous les protagonistes, jusqu’aux deux rôles principaux, ont leur part de médiocrité qu’il s’agit justement de tenter de dépasser par des actes et des prises de position nobles. Pas dans le but de devenir un héros aux yeux des autres mais de pouvoir se regarder soi-même dans une glace. Lioret ne craint pas la dureté de la réalité (voir le personnage ni misérabiliste ni angélique de la mère élevant seule ses deux enfants), pas plus que sa complexité quasiment inextricable. Les accrocs intimes et professionnels se cumulent et se répondent pour tout un chacun, faisant de chaque existence un numéro d’équilibriste forcément imparfait. Ainsi la très belle relation d’amitié platonique entre Stéphane et Claire fait naître chez le mari de cette dernière une jalousie que le film observe avec le même respect et le même tact.

Les étiquettes de bons et de méchants, de capables et d’incapables n’ont pas leur place ici. Les individus sont riches de leurs expériences et de leurs différences, appartiennent à une même communauté et tentent de faire de leur mieux dans ce cadre. Toutes nos envies est un film résolument progressiste plutôt que populiste, solidaire plutôt qu’en quête permanente de boucs émissaires et de souffre-douleur. Ce positionnement, profondément politique, est dans la continuité de ce qui s’affirmait déjà dansWelcome : refuser de porter des œillères. Être du côté des juges. Parler de choses telles que l’hôpital, le RMI, Internet sans taper stupidement dessus. Etre conscient des vices du système actuel, et les dénoncer par des répliques cinglantes comme « le crédit, c’est la consommation, et la consommation, c’est le système ; on touche pas » ou « l’Europe, c’est le marché, ils s’assurent juste que ça tourne ». En matière de cinéma, Lioret ne sublime ni n’invente rien dans ses films. Mais il y réalise quelque chose d’autre, de fondamentalement précieux : affirmer que toutes les batailles doivent être disputées, même si toutes ne peuvent être gagnées.

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