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- The plague dogs, de Martin Rosen (Angleterre, 1982)
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À la maison, en DVD distribué par Les films du paradoxe (sorti le 10 mars dernier) et obtenu via Cinetrafic
Quand ?
Samedi soir
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
La France est souvent à la pointe de la cinéphilie, mais elle a aussi ses défaillances, dont les deux films d’animation de Martin Rosen font indubitablement partie. Jouissant d’une certaine renommée dans le monde anglo-saxon, ils sont restés ignorés chez nous jusqu’à l’an passé et une sortie en salles pour laquelle l’adjectif « tardif » ne suffit plus : le premier, La folle escapade (également distribué par Splendor films), a été réalisé en 1978, et The plague dogs en 1982. Les conditions très singulières de leur création y sont certainement pour beaucoup, car elles rendent impossible leur rattachement à une école, une trajectoire, un groupe. Les deux œuvres viennent réellement de nulle part. Martin Rosen était un américain émigré en Angleterre, pays alors sans véritable culture de longs-métrages d’animation (c’était avant la percée des studios Aardman). De plus Rosen était avant tout un producteur, devenu metteur en scène malgré lui lorsque celui de La folle escapade est mort au tout début du projet. Rosen a donc mené à bien ce film, puis un second adapté d’un autre roman du même auteur Richard Adams (The plague dogs), et ce fut tout pour sa brève carrière de réalisateur.
Enfin, et surtout, ces deux films brisent net l’association communément faite entre « animation » et « pour enfants ». The plague dogs est une œuvre douloureuse qui n’admet pas la moindre concession, et qui partage bien plus de traits communs avec la récente adaptation des Hauts de Hurlevent par Andrea Arnold qu’avec le système Disney. Géographiquement, pour commencer, avec cette lande du nord de l’Angleterre qui sert de décor au récit. Un décor des plus hostiles car non domestiqué, où la nature âpre reste maîtresse et rend minimale la présence humaine comme animale. Adoptant un style naturaliste puissant et rigoureux, Rosen n’embellit en aucune façon l’apparence de ces terres, dont il retranscrit fidèlement les couleurs blafardes et les lignes cassantes. Les âmes qui ont le malheur d’évoluer dans un tel environnement doivent pour y parvenir opposer à sa rudesse leur propre violence, qui transparaît inévitablement dans leur allure extérieure. C’est vrai pour les seconds rôles de l’histoire, habitués des lieux, et cela le deviendra pour les deux chiens héros, Rowf et Snitter, au fur et à mesure de leur tragique aventure.
Rowf et Snitter se retrouvent à arpenter la lande suite à leur évasion d’un centre pratiquant des expérimentations en tous genres sur des animaux. Rowf subissait l’examen répété, de la plus cruelle des manières, de son endurance à la nage ; Snitter a fait l’objet d’une vivisection du cerveau. La dénonciation de telles pratiques scientifiques est un élément de The plague dogs, mais qui a surtout valeur de point de départ, pour la narration et la réflexion imaginées par Rosen. Une fois les deux chiens échappés, le laboratoire et le monde des hommes en général ne seront plus pour eux qu’une ombre certes menaçante mais rôdant en arrière-plan. Les confrontations directes ne tournent pas nécessairement à leur désavantage, alors que d’autres maux vont vite s’avérer bien plus graves – la faim, le froid. Le calvaire de Rowf et Snitter prend ainsi une dimension ouvertement philosophique, et politique, car à travers lui le film résume l’existence à un choix abrupt. Les deux chiens se trouvaient dans un cadre où leur survie physique était garantie, mais où le prix à payer pour cela était immense. Une fois dehors ils vivent entièrement libres, mais livrés à eux-mêmes et traqués plutôt qu’entretenus, ce qui va les pousser aux pires extrémités.
Mais l’alternative n’est pas simplement entre besoins vitaux du corps et ceux de l’esprit. La situation décrite dans The plague dogs a été biaisée par ceux qui ont le pouvoir. Ils ont fait de la protection un droit provisoire (il est grandement insinué au départ que Rowf et Snitter seront supprimés dès lors qu’ils ne seront plus exploitables) et de l’émancipation une aspiration criminalisée. Le bien-fondé de l’existence des êtres est indexé brutalement sur leur soumission et leur utilité en tant que ressource, comme dans toutes les doctrines finissant en « -isme » qui ont germé au vingtième siècle. The plague dogs devient ainsi une parabole proposant une vision terrible de la condition humaine à cette période, notre période, et s’il n’a rien perdu de sa virulence c’est parce que la réalité n’a rien cédé de sa dureté. Rosen met sur pied une perpétuation de l’esprit de 1984 d’Orwell, en remplaçant les résistants par des chiens et un renard, et les oppresseurs par tous les hommes qu’ils croisent. The plague dogs nous renvoie de la sorte à notre responsabilité pleine et entière concernant l’état de notre société ; d’un pessimisme radical, il affirme que ce ne sont pas seulement certains humains qui sont en cause mais tous.
Les choix tranchés de mise en scène de l’autodidacte Rosen assoient avec force son propos. Le refus de l’anthropomorphisme des héros entérine le clivage entre hommes et bêtes. La seule concession faite est que nous comprenons ce que ces derniers se disent quand ils parlent entre eux. Mais le contenu de leurs échanges ainsi que leurs instincts, leur compréhension du monde, leur aspect, sont exclusivement animaux. L’engagement de The plague dogs auprès de ses héros est total et sans fléchissement, comme le montre la façon dont la présence des humains est rendue diffuse. Rosen a besoin d’eux pour faire avancer l’intrigue et maintenir le suspense, mais il joue sur l’image et le son pour en faire des spectres sans consistance, qui n’empreignent jamais la pellicule : on ne distingue jamais clairement leurs visages, leurs paroles nous parviennent sous la forme d’une lointaine voix-off. C’est un parti-pris superbe formellement, et impressionnant dans la pensée qu’il porte. Les personnages, le film tout entier, et par conséquent le spectateur se retrouvent enfermés dans une prison, dont l’issue n’est qu’une utopie (l’île finale).
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