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- Pulp fiction, de Quentin Tarantino (USA, 1994)
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A la maison, en DVD zone 2
Quand ?
En deux fois, dimanche et lundi soir il y a dix jours
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
En mai 1994, un adulescent mal dégrossi et quasi inconnu se voit remettre la Palme d’Or la plus renversante et inconvenante qui soit. Du haut de ses 31 ans et de son unique et somme toute modeste précédent en matière de réalisation (Reservoir dogs, remarqué à Cannes déjà, en séance de minuit deux ans plus tôt, puis ayant fait une carrière honnête), il la chipe sous le nez de cinéastes autrement plus renommés et coutumiers du lieu. Mikhalkov, Yimou, Chéreau, Moretti se contentent d’accessits au palmarès et c’est l’hilare Quentin Tarantino, entouré de son casting de série B d’exploitation hollywoodienne, qui grimpe sur scène pour voir couronné par le jury de Clint Eastwood et Catherine Deneuve son film à sketchs, au scénario rempli de provocations de série B d’exploitation hollywoodienne. Le culte entourant Pulp fiction est né.
Il ne s’agit pourtant que d’une étape dans la filmographie du réalisateur. A mon sens, tout ce qu’il a fait depuis est supérieur à Pulp fiction – ce qui ne veut pas dire que celui-ci n’est pas déjà fameux. Mais à le revoir avec le recul, il manque à sa brillante démonstration de talent pur et de fantaisie crapuleuse le petit supplément d’âme suscité par l’intérêt plus marqué porté dans les films à venir aux personnages et à leurs parcours. Jackie Brown en est l’expression la plus franche, immédiatement après Pulp fiction, mais ce que ce long-métrage a apporté d’enrichissant à l’art de Tarantino est demeuré présent dans ceux qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui. A l’opposé, les protagonistes de Pulp fiction demeurent des vignettes fixées au film. On ne leur imagine pas de passé ou d’avenir au-delà de ce cadre, quand bien même leur charisme est immense. La dispersion de l’intrigue ne les aide pas. Ce qui serait un récit choral de pègre somme toute classique s’il était linéaire devient un puzzle répandu dans le désordre et auquel il manque des pièces. Bien sûr, c’est fait en toute connaissance de cause, avec une goguenardise savoureuse et une adresse remarquable. Le film y égare malgré tout un peu de son énergie, avec comme victime principale l’histoire rejetée en fin de programme, The Bonnie situation, bien en peine de soutenir la comparaison avec la jouissive montée en puissance à l’œuvre dans les deux premiers segments, Vincent Vega and Marsellus Wallace’s Wife et plus encore l’extraordinaire The gold watch.
L’une et l’autre se développent chacune à sa manière (Vincent… fait une large boucle revenant au final sur ses éléments de départ alors que The gold watch fonce en ligne droite), cependant ces deux histoires appliquent un même programme de fond. Il s’agit de s’approprier une situation archétypale, donc prévisible, des fictions de voyous et de la corrompre graduellement par l’intégration de contenu vicieux. Pulp fiction, c’est l’équivalent d’un space cake, on croit que l’on va manger du brownie au chocolat et on finit grisé à la marijuana, ou pire. Vincent… nous distrait avec sa gentille histoire de porte-flingue jouant les chevaliers servants pour la femme du patron mafieux un soir que ce dernier est absent, et nous balance soudain au visage une overdose trash suivie de sa désintoxication violente. The gold watch débute par l’un des clichés les plus rebattus du film noir (un boxeur en fin de course qui accepte de se coucher sur le ring puis se rétracte) et le pousse sur une pente glissante et hallucinante s’achevant sur un viol en réunion et une vengeance sabre au clair. L’éminence du génie filmique de Tarantino s’apprécie sur un point simple et implacable : il nous fait adorer être les complices hilares de ces actes immoraux et sanglants. La vitalité des personnages, la perfection des dialogues, l’inventivité visuelle (dans les décors autant que la mise en scène), tout concourt à rendre cette virée criminelle enchanteresse et récréative. La meilleure preuve que Pulp fiction est une perle unique et Tarantino un cinéaste surdoué est venue a posteriori ; quand dans son sillage tant d’autres ont tenté, en pure perte et pour notre malheur de spectateur, de reproduire le même système mais sans posséder ni le talent ni la créativité nécessaires pour que ça fonctionne.
Si les héros de Pulp fiction manquent un peu de substance, c’est car le premier rôle du film leur est ravi par le lieu de leurs péripéties, Los Angeles. Pulp fiction a des allures de solde de tout compte de Tarantino envers cette ville, dans laquelle il n’est revenu pour aucun de ses longs-métrages ultérieurs alors qu’elle est doublement importante pour lui. A la fois endroit où il vit et un des cœurs des mythologies de cinéma dont il se nourrit, deux faces que Pulp fiction réunit habilement et naturellement. Tarantino pose tour à tour sa caméra dans des décors communs et connus uniquement de leurs riverains modestes (un diner, d’anonymes immeubles d’habitation), et dans des visions sortant tout droit de son imaginaire cinéphile – le restaurant Jack Rabbit Slim’s, fusion fantasmée de deux influences distinctes issues des années 50, est la plus marquante de ces dernières. Il alterne de la même manière clins d’œil loyaux au genre noir – la valise au contenu mystérieux façon En quatrième vitesse, le décor défilant en transparence dans la vitre arrière d’un taxi – et moments banals du quotidien, des petits déjeuners, des passages aux toilettes avec des fortunes diverses[1]. Pulp fiction est une ode à la bipolarité de Los Angeles, entre magie de sa mémoire artistique et trivialité de sa surface visible, investie par des personnages eux-mêmes duals, singuliers par leur appartenance à l’univers du crime organisé et ordinaires dans nombre d’aspects de leurs vies.
[1] Vincent Vega / John Travolta y va une fois dans chaque chapitre, et chaque fois trouve en ressortant une situation pire que celle qu’il avait laissée