• Propriété interdite, de Hélène Angel (France, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Samedi, à 16h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Avec presque huit années écoulées entre son précédent film et celui-ci, Hélène Angel fait preuve d’une rareté certaine. Malheureusement, ce phénomène n’est probablement pas simplement volontaire mais trouve aussi ses raisons dans la singularité radicale des sujets qu’elle décide de développer. Rencontre avec le Dragon, le précédent long-métrage en question, était un récit d’aventures trouble et anti-spectaculaire prenant place au Moyen-Age – et fut un four au box-office. L’histoire de Propriété interdite se déroule au présent, mais n’en est pas pour autant moins riche en ingrédients propres à rendre le film très fragile commercialement parlant. L’objectif de la réalisatrice est de créer un hybride entre le drame en chambre français et le slasher sans merci à l’américaine. Bien que séparés en surface par un espace aussi large que l’Océan Atlantique, les deux genres ont dans leurs sous-sols respectifs une racine commune puisque l’un comme l’autre intègrent volontiers à leurs intrigues des références à l’actualité politique de leur pays.

[D'inévitables traces de spoilers ont été repérées dans la suite du texte. Pour ceux qui veulent découvrir le film sans rien en savoir – chose que je ne peux qu'encourager –, Propriété interdite est en trois mots : violent, perturbant, marquant. Et je vous retrouve ici même après la séance]

Dans Propriété interdite, cet élément d’actualité se rattache à la situation des migrants clandestins. C’est un de ces sans-papiers qui constitue la charnière autour de laquelle la première moitié du récit s’articule, et effectue une autre hybridation entre cette fois-ci la réalité et le fantasme. D’ordinaire, un film d’horreur se rattache à l’une ou à l’autre pour faire son effet : réalité de la présence d’un tueur monstrueux et acharné dans les slashers, fantasme de peurs chimériques mais incontrôlables (créées par l’obscurité, le bruit, etc.) dans des œuvres faisant le choix d’une terreur plus intime, mentale. Angel pour sa part ne choisit pas entre les deux voies, mais les juxtapose à l’écran. Il y a dans Propriété interdite une part de fantasme, via la paranoïa grandissante des deux personnages principaux Claire et Benoît à mesure que se multiplient les phénomènes qu’ils ne peuvent s’expliquer dans la maison délabrée (héritée du frère suicidé de Claire) où ils habitent le temps de la retaper en vue de la revendre. Ces phénomènes – bruits et ombres nocturnes, nourriture qui disparaît, découverte d’un tunnel reliant la cave au jardin – sont le fait d’une présence bien plus concrète que celle d’un esprit : un sans-papier, donc, appartenant à un groupe survivant dans les bois voisins.

Le temps que cette explication terre-à-terre soit révélée, les dysfonctionnements du couple ont eu tout loisir de prospérer sur la base de la psychose ambiante. Claire présentait avant même de s’installer dans la maison des signes d’instabilité mentale (boulimie, incapacité à admettre définitivement l’acte de son frère) qui ne font bien sûr qu’empirer. En réponse à quoi Benoît, nanti tout ce qu’il y a de plus conventionnel – banquier, obsédé par la profit matériel et le fonctionnement ordonné des choses et des gens –, devient fou de voir son épouse s’enfoncer dans la folie. Tous deux en sont rendus au point de ne plus éprouver que de la détestation envers l’autre, et une irritabilité prête elle aussi à exploser vis-à-vis du reste du monde. L’axe choisi par Angel pour suivre cette descente aux enfers est remarquable, car assez vite nous savons pour notre part qu’elle repose essentiellement sur une interprétation biaisée des faits. Quand la bulle du fantasme éclate finalement pour tout le monde, il est trop tard ; la démence est ancrée trop profondément en Claire comme en Benoît. Et elle va rendre la réalité invivable.

En rebattant de la sorte les cartes en cours de partie, là où la plupart des films du genre s’arrêtent avec la mort du fantasme (ce sera encore le cas de Black swan dans quelques semaines), Propriété interdite s’engage dans une voie encore plus déstabilisante. Sans rivale ni alternative, la réalité s’impose aux personnages de façon brutale, dans la mise en scène – où Angel réitère à plusieurs reprises le même effet consistant à introduire une vision renversante par un simple changement d’axe, sans indice préalable – et encore plus dans le scénario. Contrairement aux histoires fictives ou fantasmées, la réalité est remplie de choses qui ne « collent » pas, de comportements inexplicables, de rencontres imprévues entre des individus si incompatibles que la résultante ne peut être qu’explosive. Angel nous confronte crûment à cette situation sans solution simple, à laquelle une perturbante phase de vaudeville semble un court instant pouvoir servir de soupape. Mais c’est bien à grands coups de fusil à pompe que la détonation terminale de Propriété interdite s’accomplit, atteignant une véhémence et une profondeur dans l’insurrection qui font du film un bel héritier des brûlots horrifiques américains des années 70.

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