- Accueil
- Dans les salles
- Cinéastes
- Pas morts
- Vivants
- Abdellatif Kechiche
- Arnaud Desplechin
- Brian de Palma
- Christophe Honoré
- Christopher Nolan
- Clint Eastwood
- Coen brothers
- Darren Aronofsky
- David Fincher
- David Lynch
- Francis Ford Coppola
- Gaspar Noé
- James Gray
- Johnnie To
- Manoel de Oliveira
- Martin Scorsese
- Michael Mann
- Olivier Assayas
- Paul Thomas Anderson
- Paul Verhoeven
- Quentin Tarantino
- Ridley Scott
- Robert Zemeckis
- Roman Polanski
- Steven Spielberg
- Tim Burton
- USA
- France
- Et ailleurs...
- Genre !
- A la maison
- Mais aussi
- RSS >>
- Pater, de Alain Cavalier (France, 2011)
Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!
Au ciné-cité les Halles
Quand ?
Jeudi soir, à 20h30, avant Blue valentine
Avec qui ?
MonFrère
Et alors ?
Il n’y a pas tromperie sur la marchandise : Pater est bien, comme annoncé, l’un des films les plus singuliers qu’il soit donné de voir. Alain Cavalier nous emmène en terrain véritablement inconnu, foulé par nul autre avant lui. On se retrouve si loin de tout repère, de tout voisinage cinématographique qu’on ne voit guère que les extravagantes manipulations du médium par les Monty Python comme pouvant avoir un mince lien avec ce que Cavalier réalise devant nos yeux. Quand elle s’était en son temps frotté au cinéma, la troupe anglaise avait pris les règles qui font une « bonne » fiction et s’était assise dessus (pour rester poli), préférant fabriquer son propre espace de connivence et d’égalité avec le spectateur, en œuvrant pour cela parfois dans le cadre du cinéma et parfois contre ce cadre. Une présentation raisonnablement fidèle de Pater pourrait être de dire que Cavalier décline à toutes les composantes d’un long-métrage de fiction la fameuse réplique « C’est rien qu’une maquette » (« It’s only a model ») de Sacré Graal !.
L’accumulation de niveaux de réalité différents dans Pater donne le vertige. On y observe alternativement à l’écran Alain Cavalier et Vincent Lindon comme êtres humains occupés à leurs vies véritables ; comme artistes échafaudant un film ; et comme les acteurs et cameramen interprétant et enregistrant le film en question. A chaque niveau correspond un type de relation, réelle ou symbolique, entre les deux hommes : père et fils (symbolique), metteur en scène et acteur (réelle), et Président et Premier Ministre (un peu des deux). Dans leur film dans le film, Cavalier et Lindon jouent en effet à interpréter les deux personnages les plus importants de l’État français, brodant librement sur un canevas a minima – le Président nomme un nouveau Premier Ministre dans le but de faire passer une dernière grande mesure (la fixation par la loi d’un niveau de salaire maximum) au cours de son mandat, mais les frictions et blocages que causent la dite mesure vont diviser les deux hommes et même les pousser à s’affronter. La parfaite adéquation du thème politique choisi avec l’actualité politique réelle est un bonus qui ne se refuse pas, et rend le film encore plus réjouissant.
La clé de voûte de Pater est que tout y est vrai. Il n’y a pas de classement, de rapport de supériorité implicite ou explicite entre les niveaux de récit. Ainsi que le dit Lindon dans la dernière séquence, tant qu’il y a une caméra, c’est un film, c’est du cinéma. Et peu importe ce qui est filmé, tout a la même valeur. Comme en plus les trois variantes de la relation Cavalier/Lindon sont très proches les unes des autres, en tournant toujours autour d’une connexion de type maître/élève, sculpteur/sculpté, on comprend bien comment Pater peut être une œuvre très homogène, et pourtant (ou plutôt : parce que) constamment déstabilisante, imprévisible. Lindon accepte de jouer le jeu sans retenue, quitte à s’y perdre – voir la scène hilarante où, dans son appartement et dans son propre rôle, il admet à voix haute et avec le plus grand sérieux ne pas comprendre pourquoi il n’est pas fait appel à lui pour tenir la fonction de Premier Ministre en vrai. Si même Lindon se laisse prendre, il n’y a pas de raison de ne pas se jeter également à l’eau en tant que spectateur.
D’autant que le tour accompli par Cavalier est brillant à tous points de vue. C’est un trompe-l’œil exécuté en plein jour, au vu et au su de tous ; et cependant c’est aussi un remarquable révélateur de la vérité humaine profonde de chacune des relations et situations pratiquées. On voit les coutures, les ficelles, mais cela ouvre en réalité une porte sur l’intime. On vit l’amitié naissante entre Cavalier et Lindon avec eux (jusque dans leurs assiettes à l’occasion de leurs nombreux repas gastronomiques), on fabrique un film avec eux, on fait même de la politique avec eux. Le résultat de cet amateurisme de surface – la notion d’amateur étant à prendre ici dans son sens noble – est un mélange étonnant de franche camaraderie et de grande finesse d’appréciation des choses. Camaraderie, car tout ici se pratique et s’élabore dans un esprit d’égalité parfaite, candide entre tous les participants à l’œuvre, spectateur compris. Et grande finesse car, comme je l’ai écrit plus haut, tout ici est vrai, et d’une phénoménale acuité sur les ressorts sous-jacents de la filiation, de la politique, de la mise en scène. Cavalier fait passer des impressions universelles sur ces différents sujets, même si en apparence il n’est question que d’expériences singulières. Les vertus euphorisantes de cette clairvoyance font que l’on rit souvent ; de même que nous fait beaucoup rire la complicité générale instaurée par le réalisateur. Très intelligent, très étonnant, très enrichissant, Pater trouve sa qualité première ailleurs : il est extrêmement joyeux.