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- Les liaisons dangereuses, de Stephen Frears (USA-Angleterre, 1988)
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A la Cinémathèque, en ouverture de l’hommage rendu au directeur de la photographie Philippe Rousselot
Quand ?
Mercredi soir fin mars, à 20h
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
Les liaisons dangereuses reste un des points culminants de la carrière du touche-à-tout Stephen Frears (rapide rappel sélectif : The hit, High fidelity, The Queen, et dernièrement Tamara Drewe), parce que le cinéaste y transforme en fondements de son succès les pièges potentiels présents à la source du projet. Lesquels sont nombreux, et de taille : film d’époque en costumes, portage à l’écran d’une pièce de théâtre, et même au deuxième degré adaptation d’un roman épistolaire, des écueils qui ont chacun à son actif une longue liste d’œuvres victimes. A la manière d’un judoka, Frears les retourne tous à son avantage via l’intelligence et la puissance de sa seule ressource, la mise en scène.
Prédestiné à être une histoire de chambre et de mots, Les liaisons dangereuses devient un film au suspense intense et au regard tranchant sur la guerre des sentiments. Une guerre menée par deux stratèges, la marquise de Merteuil (Glenn Close) et le vicomte de Valmont (John Malkovich), d’autant plus ennemis qu’ils ont été amants. Tous les hommes et femmes de la noblesse gravitant à proximité d’eux font office de pions, exploitables, manipulables, sacrifiables. Puisque cet affrontement se joue dans l’ombre, selon des plans savamment pensés et méticuleusement exécutés, en tentant d’avoir en permanence plusieurs coups d’avance sur l’adversaire, Les liaisons dangereuses est tout autant un film d’arnaque que l’est le suivant dans la filmographie de Frears, le bien nommé Les arnaqueurs (très bon également). Le revoir – au moins – deux fois est à ce titre une nécessité qui se double d’un réel plaisir. Cela offre l’opportunité de voir se déployer les tactiques de Merteuil et de Valmont en sachant la finalité véritable de chaque prise de décision, et les accrocs et erreurs qui vont parfois les faire échouer. Le drame prend alors toute son envergure, et les choix de réalisation de Frears leur pleine pertinence.
Le drame au centre des Liaisons dangereuses est celui de la fragilité humaine face à soi-même, à ces pulsions d’amour ou de haine qui naissent en nous et qui restent pourtant irréductibles à tout contrôle de notre part. Sa nature intemporelle, couplée au fait d’en avoir fait le cœur du récit qui consume tout le reste, délivre le film du carcan de l’œuvre en costumes. Il y a dans ces Liaisons dangereuses un sentiment d’urgence lié à une quête d’absolu – forcément tragique – que rien ne peut corseter. Être vivant c’est chérir et détester, désirer et repousser, face à cela tous les âges, les lignées, les sexes sont égaux dans l’inféodation. A propos de sexe, le film de Frears est vivant et animé aussi parce qu’il en émane une puissante sensualité. Elle naît d’un rapport intime aux corps des uns et des autres, traités à raison comme faisant partie intégrante de l’action ; c’est toujours par eux que tout finit, lors d’un duel à mort à l’épée ou en se rejoignant par une porte dérobée pour faire l’amour. Dans Les liaisons dangereuses on s’habille et on se découvre beaucoup, la chair se révélant ainsi sous les vêtements et les parures.
Il y a la chair, et il y a les visages. La première s’affirme par sa simple apparition, qui n’est jamais anodine ; les seconds sont en permanence porteurs de messages, complexes et plus ou moins francs. Par leur étude attentive et impitoyable, Frears distance l’autre danger qui guettait le film, sa double ascendance écrite provenant de la littérature et du théâtre. Observer de près les visages des protagonistes est le meilleur moyen d’éprouver la sincérité et la résistance des paroles qu’ils sont en train de formuler – et d’accentuer la défaillance des moments de silence. Les liaisons dangereuses est un long-métrage fondé sur des dialogues (exquis et savamment ciselés, soit dit en passant) mais dont la forme d’expression dominante est visuelle plus que verbale. Frears ne se voit pas en passeur d’images neutre, il tient à être partie prenante du récit. Il met à profit les options qui s’offrent à lui en matière de distance à l’action – amplitude ou contraction du cadre, rythme des coupes dans la couverture des confrontations orales entre les personnages – pour apporter son point de vue, volontiers critique et jugeant sévèrement les uns comme les autres. Il s’engage dans son long-métrage, entrant dans l’arène pour participer au combat plutôt que de rester confortablement assis dans les gradins. Les plans qu’il compose sont des coups portés sans retenue, faisant de plus en plus mal à mesure que le dénouement se rapproche et que le champ se resserre sur les visages. Jusqu’à ne plus relâcher son étreinte, dans les ultimes plans sans pitié pour Merteuil laissée K.O. debout.