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- Le grand soir, de Benoît Delépine & Gustave Kervern (France, 2012)
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Au ciné-cité les Halles
Quand ?
Mardi soir, en avant-première
Avec qui ?
MonFrère et sa copine
Et alors ?
Entrés dans le monde du cinéma par une toute petite porte dérobée (leurs deux road-movies aussi déroutants et peu commodes que leurs titres, Aaltra et Aviva), les zouaves grolandais Delépine et Kervern se sont retrouvés très vite très près du centre commercial et institutionnel du cinéma français, en raison de la renommée encombrante de leurs amis acteurs – Yolande Moreau, Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel, etc. Certainement bien plus vite et bien plus près qu’ils ne pouvaient l’imaginer, et les voilà désormais dans la situation délicate d’avoir un pied dans le système et l’autre encore en dehors. L’échec patent du Grand soir montre qu’il s’agit là d’un trop grand écart, dont pas grand-chose de bon ne peut naître.
Il n’y a pas à chercher loin pour trouver un point de comparaison sévère pour ce nouveau long-métrage : Louise-Michel, avant-dernière réalisation du même duo. Un même thème général soutient les deux films, la lutte vaine de déclassés contre la société de l’oppression sans oppresseurs apparents dans laquelle nous évoluons. La correspondance s’arrête là, car Le grand soir manque de tout. D’inspiration, de vision, de folie. De cinéma, même, entre une direction d’acteurs absente (chaque comédien fait son numéro ordinaire dans son coin) et une mise en scène se résumant trop souvent à poser la caméra et attendre que quelque chose se produise devant son objectif. L’entreprise de Delépine et Kervern tourne à vide, avec un récit qui procrastine abusivement (il faut plus d’une heure au personnage de Dupontel pour devenir punk clochard à chien comme son frère joué par Poelvoorde), des gags paresseux qui tombent pour l’essentiel à plat, un couplet politique sommairement mis en place à partir de tirades simplettes et fastidieuses sur le monde comme il va mal. Tout cela en fait l’antithèse complète de Louise-Michel, la version affadie jusqu’à n’avoir plus aucun goût.
Il n’est plus question de provoquer le spectateur à coups d’embardées soudaines de scénario (l’épilogue surréaliste de Louise-Michel), ni de rentrer dans le lard du système, au moins pour se défouler à défaut de pouvoir l’ébranler. Certains justifient cette apathie qui pèse sur Le grand soir par sa conscience de son impuissance, de l’inertie trop forte du monde à soulever. Pour ma part je trouve cette explication insuffisante, elle ne dit par exemple rien de la présence de stéréotypes plus télévisuels que cinématographiques (l’épouse castratrice, le petit chef hargneux), pauvrement écrits. Mon avis est que Delépine et Kervern ont pour cette fois échoué, et que le renoncement qui habite leur film est plus subi que voulu. Partir à l’abordage du monde de la triste France périurbaine et des zones commerciales désolantes qui la vampirisent ne manquait pas de panache ; encore fallait-il avoir de quoi mener l’assaut sur la durée, face à un adversaire aussi colossal. Ce n’est pas le cas pour Le grand soir, dont les auteurs sont montés sur le ring en slip et l’esprit parasité par leur nouvelle condition, au confort certain et instillant le souhait (conscient ou non) d’éviter de trop déplaire, de trop détonner. Nul excès ne vient secouer ce film mollasson, et flou quant au point de vue qu’il adopte – les « braves gens » y sont moquées facilement, mais en face les punks à chien sont traités comme on le ferait de curieuses et pittoresques bêtes de zoo. Et au final, ce sont bien la désaffection et l’impersonnalité propres aux zones commerciales qui cernent Le grand soir et l’asphyxient.