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- La ruine, c’est maintenant : Superstar de Xavier Giannoli, David et Madame Hansen de Alexandre Astier (France, 2012)
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Au ciné-cité les Halles
Quand ?
Lundi soir, l’un à la suite de l’autre
Avec qui ?
MaBinôme
Et alors ?
Le cinéma français des « grands » (grand budget, grande affiche, grande diffusion) n’est pas un modèle d’accomplissement artistique, cela n’a rien d’un scoop. Et cela ne date pas d’hier, ni même d’avant-hier – Renoir dans les années 1930, la Nouvelle Vague dans les années 1950 honnissaient déjà cette apathique « qualité française ». Mais il semble tout de même que l’on assiste ces temps-ci à une aggravation du phénomène, une poussée de fièvre peut-être temporaire (qui sait, on peut toujours rêver) suscitée par le resserrement des liens entre cinéma et télévision. Les financements et castings du premier sont de plus en plus fournis par la seconde, qui inévitablement étend en retour son empire sur le résultat à l’écran. Jusqu’à dépouiller de toute trace de cinéma ces produits prêts à consommer par elle, pour remplir ses cases en prime time et gaver son public en préservant le sacrosaint temps de cerveau disponible.
Superstar et David et Madame Hansen sont deux pénibles exemples de « films » rendus au stade terminal du mal. Pour le premier je m’y attendais, mais pas à ce point, et pour le second c’est tout de même une surprise. Alexandre Kaamelott Astier réalise là son premier long-métrage, dont il est aussi le scénariste, le premier rôle masculin et même le monteur, selon la nocive tradition nationale voulant que l’auteur soit omnipotent ou ne soit pas. Astier voudrait être, mais sans succès. Sa mise en scène et son montage sont en état de mort clinique, tant leur encéphalogramme est désespérément plat. Les seuls ersatz d’inspiration que l’on y trouve prennent la forme d’une musique d’ascenseur assommante, qui noie le film de part en part ; et de séquences filmées comme des spots de pub, pour une maison de retraite au début, pour des voitures de sport à la fin. Car David et Madame Hansen, confronté au douloureux problème du traumatisme psychologique provoqué par un deuil, se fend d’une suggestion de thérapie originale – par la conduite de bolide à plus de 200 km/h au milieu de la circulation. Cette idée conclut la série de coups de force ineptes constituant le scénario, qui les accumule pour s’éviter d’avoir à proposer quelque chose de plus fin dans la narration et de plus conséquent dans la caractérisation des personnages.
Le problème originel du film réside dans son absence de point de vue. Trop détaché pour se laisser aller au drame pris au premier degré, mais en même temps trop sage pour s’engager pleinement dans l’humour noir et absurde, David et Madame Hansen s’enlise dans un no man’s land entre les deux. Ainsi paralysé par son propre manque d’ambition, Astier semble improviser son histoire au fil de l’eau. Les tournants soi-disant lourds de sens et de conséquences sont balancés gauchement et sans réflexion, entre deux rabâchages du misérable et unique enjeu du récit : « Il faut rentrer à la clinique maintenant », répété ad nauseam de crainte que le spectateur, ce pauvre petit moineau sans cervelle, l’ai oublié. Et comme toujours dans les films sous-écrits, ce sont les rôles féminins qui sont les plus amochés. Adjani exceptée, car c’est une star, elles sont castratrices et acariâtres jusqu’à la caricature. Astier pousse l’humiliation jusqu’à écrire un dialogue où il fait la leçon à une de ces femmes ridiculement « chiantes » alors que c’est lui-même, en tant que scénariste, qui l’a mise dans cet état.
La dévalorisation des femmes est également au programme de Superstar, par l’intermédiaire du personnage de Fleur (Cécile de France, absente). Le script lui fait dire le plus sérieusement du monde des phrases comme « Je lui appartiens » à propos de son amant dédaigneux et macho ; puis considère comme une évolution positive le troc d’un look émancipé (cheveux rouges, boucle d’oreille, couleurs vives) pour une allure d’épouse convenable se rendant à la messe. Autre point commun entre les deux films, leur impuissance à (ou refus de ?) décoller d’un traitement trivial de leur idée de départ. Dans le cas de Superstar, cela donne une répétition névrotique, au point de provoquer des fous rires involontaires, de la question « Pourquoi ? » en balayant toutes les octaves. Ce blocage n’est pas que drôle, il est aussi affligeant. Car il est invraisemblable que quelqu’un aie un pitch de film avec un tel potentiel – un homme, Martin Kazinski, devient la personne la plus célèbre du pays du jour au lendemain, sans raison – et n’en fasse rien. Littéralement, rien. Xavier Giannoli reste au point mort, ses gesticulations ne mènent jamais nulle part car il n’initie aucune piste, de science-fiction, de politique, de réflexion sur la technologie, d’humanisme (façon The Truman show). La raison à cela est l’osmose parfaite qui existe entre Superstar et la télévision – télévision qu’il voudrait soi-disant pourfendre, c’est dire l’ampleur du ratage.
Superstar n’est pas, au contraire de David et Madame Hansen et de nombreux autres, un simple produit fait pour la télévision. Lui partage entièrement ses positions, sa laideur – laideur esthétique qu’elle donne à voir au monde, laideur morale qu’elle croit voir en lui. Le film enquille ainsi les partis pris pitoyables dont la machine télévisuelle fait son ordinaire ; de la phobie d’Internet, cet instrument qui ne sert qu’à faire et propager le mal, à une vision fielleuse de la somme des common people, réduite au rang de « bas peuple » forcément affreux, bête et méchant. Les scènes qui se déroulent dans le « vrai » monde, ici une rame de métro, là les rayons d’un supermarché, font la démonstration d’un dégoût sans bornes, d’une misanthropie ayant atteint le stade de la névrose. Physiquement il ne manque que la crasse sur le visage, mais intérieurement elle est bien là puisque dans le film tel qu’il est, les gens n’ont besoin d’aucune manipulation ou incitation pour harceler, puis exécrer tout aussi sauvagement Martin (Kad Merad, qui en fait des tonnes pour pas grand-chose au final). Il n’y a donc malheureusement pas à s’étonner que Superstar se réfugie dès qu’il le peut sur les plateaux de télévision. Cet environnement est pour lui un cocon protecteur qui met la populace à distance, ou au pas, c’est au choix, et où le film se sent dès lors compris et accepté. En contrepartie, il teinte d’ailleurs son mépris pour les gens de ce milieu de plus de décharges qu’il n’en accorde aux personnes du monde extérieur : oui, c’est moche de pratiquer une ligne éditoriale démago et de se raccrocher aux sujets qui font vendre, mais ce n’est pas vraiment leur faute, ils ne font que donner au public ce qu’il demande…
L’incapacité de Superstar à faire quoi que ce soit sans utiliser la télévision comme intermédiaire est non seulement désespérante, d’un point de vue narratif (ce que l’on regarde est moins un film qu’un bout-à-bout d’émissions tv nous racontant l’intrigue du film), mais elle est aussi inexcusable en termes de cinéma. Giannoli délaisse toute ambition liée à cet art, et s’abandonne à de longues reprises à une réalisation carrément télévisuelle, dont la grossièreté criarde s’exhibe sans recul, ni contrechamp. Sans point de vue, comme l’est finalement le film dans son ensemble. A force de pactiser avec son vrai-faux ennemi télévisuel, Superstar n’est en effet plus en mesure de tenir un discours cohérent et intelligible à l’encontre de celui-ci. Mais bon, étant donné que les seules munitions qu’il avait trouvées pour mener la bataille étaient un cri primal et la candeur d’handicapés mentaux, on n’a pas réellement le sentiment d’être passé à côté d’un choc des titans.