• De rouille et d’os, de Jacques Audiard (France, 2012)

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Où ?

Au ciné-cité Bercy

Quand ?

Lundi soir, à 20h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

L’ampleur du succès et des prix obtenus par De battre mon cœur s’est arrêté semble bel et bien être montée à la tête de Jacques Audiard, depuis engagé dans une quête démesurée de l’opus magnum, si imposant et émérite qu’il emporterait tout sur son passage, et dans le lot si possible une Palme d’Or. Un prophète a initié ce virage, et De rouille et d’os entérine pour de bon la nature de cette orientation nouvelle. Audiard a tourné le dos aux ambitions de ses premières réalisations, simples et passionnantes (raconter des histoires, faire exister des personnages atypiques), et ressemble désormais à ces acteurs dont le plan de carrière se résume à enchaîner les rôles monumentaux, démesurés jusqu’à ce qu’un d’entre eux leur amène un Oscar. Le hic est qu’Audiard est à mes yeux bien moins à l’aise dans la démesure et l’emphase que dans la modestie, l’intrigue intimiste.

Sur le papier, De rouille et d’os marque pourtant a priori un retour à cette échelle réduite. Son scénario s’enroule autour de deux vies de rien du tout. Celles d’Ali, marginal qui débarque sur la Côte d’Azur avec son fils de cinq ans et ses poings comme seul gagne-pain (en tant que vigile, ou dans des combats clandestins), et de Marie, installée quelques crans plus haut dans l’échelle sociale puisqu’elle est dresseuse d’orques au Marineland – jusqu’à ce qu’un accident de travail la prive de ses jambes et en fasse à son tour une déclassée. A partir de ces éléments, Audiard imagine un plat composite, fond de tarte à base de drame social recouvert d’un lit de mélo sentimental rugueux. Mais il force tellement le trait au cours de la préparation que l’indigestion guette sans cesse. Des passages accomplis (le traitement en ellipses, à la bonne distance, des étapes de la nouvelle vie d’handicapée de Marie) alternent avec des agissements de drame à gros sabots, dans l’écriture ou la mise en scène. Audiard a du mal à éviter la lourdeur quasiment chaque fois qu’il vise la gravité – la représentation sommaire de la société de la pauvreté – ou aspire à exprimer l’inexorabilité d’une destinée tragique (les plans appuyés sur les jambes de Marie avant l’accident). On se sent comme devant un long-métrage moyen et pas très inspiré de Ken Loach ou Mike Leigh, le soleil méditerranéen en plus ; quand Audiard ambitionne de nous terrasser, nous transpercer jusqu’à l’os avec son tableau d’une humanité qui dérouille.

A l’instar d’Un prophète, De rouille et d’os n’est pas à la hauteur de son ambition massive, et proclamée aussi bruyamment que si un immense néon clignotant portant l’inscription « attention Grand Film » barrait l’écran. Son atout maître reste son efficacité, qui lui assure d’échapper à la médiocrité (le film progresse sur des rails solides) mais pas à une certaine forme d’ennui – les rails en question étant sérieusement rectilignes. De rouille et d’os ne demande qu’à être subi, par un public passif qu’il ne cherche nullement à stimuler intellectuellement. Il accumule les événements choquants et les fortes têtes mais reste à la surface des uns et des autres, plutôt que de se risquer à fouiller leur complexité. Audiard ne dévie qu’exceptionnellement de la route sagement balisée du réalisme social mollasson, quand bien même les chemins d’une fiction autrement plus excitante lui tendent les bras ; par exemple vers la fin, lorsque Marie devient fugacement la manageuse d’Ali dans ses combats, ce qui la métamorphose en hybride de deux figures du film noir, la femme fatale et le caïd estropié. A peine amorcée, cette piste excitante est immédiatement refermée au profit d’un épilogue sirupeux et forcé. Audiard veut à tout prix offrir à ses personnages un destin de conte de fées, façon la belle et la bête. Déjà peu cohérente sur le principe avec la litanie d’épreuves terre à terre qui a précédé, cette détermination se prend les pieds dans le tapis d’une scénarisation pour le coup franchement médiocre : arbitraire complet de la tragédie, simplisme soudain de la psychologie des individus, happy end qui ignore avec morgue toutes les questions relatives à la vraisemblance de son bonheur fantasmé. Ces derniers instants, où se jouait le sort jusque là fluctuant du film, font pencher la balance du mauvais côté : de drame talentueux mais maladroit, De rouille et d’os devient mélo qui pèse plusieurs tonnes.

Une réponse à “De rouille et d’os, de Jacques Audiard (France, 2012)”

  1. MMG dit :

    Quand on voit un film au ciné, c’est pour se divertir et non faire une analyse que pourrait engendrer une masturbation intellectuelle! Oui en ce qui me concerne, j’aime être passive et subir le film. Pourquoi ne pas rester simple? Si je veux faire fonctionner mon cerveau, je regarde des documentaires, lis des journaux, des articles sur internet…
    Si « les plans sont appuyés sur les jambes de Marie avant l’accident » c’est peut-être pour montrer que pour elle, c’était un atout majeur de sa féminité. C’est peut-être mieux de nous le suggérer ainsi que de le placer dans le scenario.
    « Mais il force tellement le trait au cours de la préparation que l’indigestion guette sans cesse. Des passages accomplis (le traitement en ellipses, à la bonne distance, des étapes de la nouvelle vie d’handicapée de Marie) alternent avec des agissements de drame à gros sabots… » : pourquoi Audiard devrait-il rester superficiel sur ce qu’endurent les personnages? On a là un apperçu de leur ressenti. Autrement, j’aimerais savoir comment il aurait dû faire. Avec uen critique comme la vôtre, je suis très très curieuse de savoir comment vous auriez vous, réalisé ce film. Parce que lorsqu’on est capable de juger à ce point, on est capable de réaliser mieux que le film dénigré. Enfin, tout ça reste assez subjectif.
    « dans l’écriture ou la mise en scène » : des exemples?
    Certes, sur la fin du film, leur vie est vue rapidement mais on ne voit les personnages qu’en public. Que savons-nous de ce qu’ils vivent dans l’intimité?

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