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- Cannes, 23 mai : Ernest et Célestine, de Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar
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L’avantage du théâtre de la Licorne (où j’ai passé la soirée de mardi), c’est qu’il me permet de voir des films de la compétition officielle. L’inconvénient, c’est qu’il se trouve très à l’écart de la « zone Festival » comme le dit si poétiquement le plan, et qu’on s’y retrouve entre seuls Cannes Cinéphiles, sans badgés presse, sans accrédités Festival, sans badauds, sans équipes de film. Bref, l’ambiance n’y est plus, et cela crée un vide plus grand que ce j’aurais cru. Le Festival, on y devient accro ? Assurément, même si son caractère frivole, irréel, coupé du monde reste bien présent dans mon esprit. C’est un plaisir factice mais un plaisir malgré tout. Retour donc à la Croisette ce mercredi, non pour me battre pour voir le pseudo-événement du jour Sur la route (au sujet duquel les premiers avis sont mauvais, sans surprise au vu de la bande-annonce) mais pour retrouver ma sélection fétiche depuis le début des festivités : la Quinzaine des Réalisateurs. J’y ai découvert deux films encore aujourd’hui, portant à huit mon total. Tous ne sont pas à la hauteur des attentes placées en eux, c’est le cas de Sueño y silencio de Jaime Rosales, connu pour son film La soledad qui fut récompensé aux Goyas. Rosales est un cinéaste qui flirte volontiers avec l’art expérimental, et il ne s’en prive une nouvelle fois pas en faisant ce nouveau film en noir et blanc alors qu’il se déroule aujourd’hui. C’est un noir et blanc en nuances de gris, granuleux, peu contrasté ; un noir et blanc de mort et non de vie, du même genre que celui dont Philippe Garrel avait habillé La frontière de l’aube. La correspondance entre les deux œuvres ne s’arrête pas là, puisque Sueño y silencio est lui aussi un film spectral, au cours brisé par un décès puis hanté par un fantôme – ou par son absence. Rosales considère de toute évidence que sa pratique du cinéma se doit de sortir des sentiers battus – le noir et blanc en est une preuve, l’emploi exclusif de plans faisant face à l’action (et pour renforcer cela, barrés de lignes horizontales strictes composées par des éléments de décor) une autre encore plus marquée. Pour ma part cela fonctionne, j’y vois un moyen de nous rendre partie prenant de l’action et non spectateur en retrait, third party comme on dit en anglais. J’aime également beaucoup l’idée narrative qui donne son titre au film, la tournure du deuil en rêve ou en silence. Par contre, il faut bien reconnaître que Rosales tombe à intervalles trop réguliers dans la caricature auteuriste, composant des plans indéchiffrables et/ou pompeux qui n’occasionnent qu’ennui et incompréhension. Il nous éjecte de son film presque aussi souvent qu’il nous y implique émotionnellement.
Autrement plus simple, et autrement plus agréable, le dessin animé qui a suivi, Ernest et Célestine. Lequel obéit à une logique de studio dans sa conception, basée sur le regroupement d’une équipe « all star » : des héros d’albums jeunesse à la genèse du projet, un gros ours gourmand et une petite souris futée ; Daniel Pennac à l’écriture de ce prequel de leurs aventures (on y apprend comment s’est déroulée leur rencontre) ; Lambert Wilson prêtant sa voix à Ernest ; les créateurs de Panique au village à la réalisation. Et comme un grand film de studio, Ernest et Célestine tire le meilleur de tous ces talents et aboutit à un résultat réjouissant. De la première à la dernière minute on s’émerveille de la beauté du dessin, on rit de l’inventivité de l’univers imaginé et de l’habileté de l’humour déployé, on s’amuse des péripéties rocambolesques qui forment l’aventure ; on devient grands amis avec cet ours et cette souris complémentaires et absolument attachants. Il n’y a pas grand-chose de plus à dire parce que c’est tout à fait réussi, tout à fait plaisant. Un bonheur sans nuages pour tous les âges (avec un message intelligent et distillé finement).
Il y avait un goûter à l’issue de la séance, mais seulement pour les enfants alors je me suis enfin extrait du sous-sol de l’hôtel J.W. Marriott (où se trouve la salle de projection officielle de la Quinzaine) pour me rendre à quelques rues de là à l’Espace Miramar et y voir le dernier film en compétition à La Semaine de la Critique, un documentaire bulgare, Sofia’s last ambulance. Tout est dans le titre ou presque : à Sofia, à force de coupes et de laisser-aller dans la gestion publique, il n’y a qu’une poignée d’ambulances pour couvrir toute la ville, et une seule avec une unité de réanimation. C’est celle-ci que suit le réalisateur Ilian Merev, mais sans assez de clarté sur la manière de traiter son sujet pour en être à la hauteur. Merev hésite continûment entre cinéma vérité (être là et capter tout, en toute objectivité, façon Frederick Wiseman) et mise en scène légère et fidèle de la réalité – comme le faisait, à l’extrême certes, Fogo que j’ai vu hier. Résultat, il ne fait aucun des deux bien. C’est vraiment dommage car ce que l’on perçoit de la réalité des nouveaux pays de l’Europe que sont la Bulgarie, et sa voisine la Roumanie, dans des films de fiction (dernièrement Avé pour la Bulgarie et le Mungiu, Au-delà des collines, présenté à Cannes), convainc qu’il y a là une matière documentaire très dense. Mais cette précarité des individus, ce délabrement de la société restent simplement esquissés par Sofia’s last ambulance.