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- Cannes, 19 mai : Au-delà des collines, de Cristian Mungiu
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Journée très bien remplie, comme quoi cela fonctionne de se tenir à l’écart d’Un certain regard. Après m’être essentiellement fourni à la Quinzaine des réalisateurs en début de festival, j’ai cette fois butiné un peu partout ailleurs, à commencer par la Semaine de la critique avec l’israélien God’s neighbours, de Meni Yaesh (un premier film comme presque toujours dans cette sélection). Il s’agit d’une actualisation dans un ici – Tel-Aviv – et un maintenant très précis d’une histoire d’un grand classicisme, de faiblesses individuelles muées en maux nuisibles par les phénomènes d’entraînement qui vont de pair avec la constitution d’un groupe. Avec ses deux meilleurs amis, le héros du film forme un gang miniature intégré à une communauté plus vaste, celle des juifs orthodoxes très pieux et très à cheval sur le respect des traditions. Dominé par ses hormones et son besoin de s’affirmer à l’excès, le trio de post-adolescents multiplie les dérapages de plus en plus graves. À rebours des apparences God’s neighbours a pas mal en commun avec le Gondry vu avant-hier. L’un comme l’autre laissent s’exprimer en toute liberté le trop plein brut et ambivalent d’énergie de leurs personnages, sans le contraindre par un point de vue étriqué sur la question. L’un comme l’autre y gagnent une grande intensité, qu’ils égarent de la même manière dans un trou d’air dans la seconde moitié du film dû à un surlignage inutile de ce qui fait l’intimité d’un personnage. Mais God’s neighbours trouve les ressources pour repartir vers un final très beau, qui raconte avec beaucoup d’humanité et d’intelligence le chemin vers une rédemption simple et une pratique apaisée de la religion.
Le soir, c’est vers la salle de l’ACID (la sélection la plus à la marge de toutes) que je me suis dirigé pour Ini Avan, d’Asoka Handagama. C’est le premier film sri-lankais qu’il m’est donné de voir, et cette singularité est la principale raison qui m’a poussé à le découvrir. Ini Avan est très ancré dans l’actualité du pays, puisqu’il raconte le retour dans son village d’un ex-combattant tamoul après deux ans de « rééducation » dans un camp. La guerre civile entre les tamouls et le pouvoir central srilankais s’est étendue sur trois décennies, et le récit est écrasé par le poids de ce passé à conjurer. Il ne se libère du didactisme du « film-dossier » (où chaque personnage est représentatif d’une part spécifique du malheur vécu par la population) que dans son dernier tiers, où émerge une intrigue de film noir bienvenue mais tardive. On retombe dès lors sur la curiosité comme seul (et quelque peu insuffisant) moteur de notre intérêt envers l’œuvre. Curiosité de découvrir un pays de bric et de broc, où les t-shirts Diesel et Twitter cohabitent avec des rues sommairement goudronnées et des huttes précaires ; curiosité de découvrir son cinéma, sous forte influence Bollywood – même théâtralisation naïve et frontale, même ambiance sonore, et mêmes défauts de structure (dans l’interprétation, le découpage, etc.) amplifiés par les ressources plus que modestes du film, qui le font flirter avec l’amateurisme. Un lointain cousin du congolais Viva Riva !, moins exubérant.
Entre les deux, ce n’est nulle part ailleurs qu’à la Compétition Officielle que je suis parvenu à m’introduire. En profitant de la combinaison après-midi ensoleillée / film roumain de 2h30 et en passant par la file de dernière minute, j’ai réussi à me faufiler sur les marches du Palais puis dans l’orchestre du Grand Théâtre Lumière pour découvrir Au-delà des collines, premier long-métrage de Cristian Mungiu depuis sa Palme d’Or pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Le film m’a absolument terrassé, et j’ai parlerai bien plus longuement à une autre occasion (une fois le Festival terminé, ou au moment de la sortie du film en salles) car là il se fait très tard. Pour faire court, le cinéma de Mungiu n’a pas perdu une miette de son immense puissance visuelle – son usage du format scope, au cœur de son travail, est toujours aussi inouï – et il a su dans le cas présent y ajouter par rapport à 4,3,2 une portée narrative supplémentaire. À la fois dans l’ampleur sociale et humaine de son récit, et dans l’émotion que portent ses héroïnes tragiques, profondément touchantes quand celles de 4,3,2 étaient cantonnées au statut de rouages de scénario. Mungiu raconte la confrontation de deux amours si absolus qu’ils ne peuvent cohabiter (l’amour d’une communauté chrétienne orthodoxe envers Dieu, et l’amour entre deux êtres de chair), en partant d’un fait divers qu’il traite avec beaucoup de noblesse et de respect, à la manière d’un Truman Capote ou plus près de nous un Jean-Xavier de Lestrade, pour en tirer une histoire bouleversante et un film exceptionnel. Mungiu est définitivement un très grand cinéaste, à la mise en scène massive mais totalement maîtrisée, et à la philosophie cartésienne (ne filmer que des actions, du concret) de plus en plus excitante, surtout quand il la confronte à un sujet aussi psychologique et immatériel qu’ici. Vivement que j’ai le temps d’en reparler !