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- Anna Karenine, de Joe Wright (Angleterre, 2012)
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Au MK2 Odéon
Quand ?
Mercredi, à 16h30
Avec qui ?
Seul
Et alors ?
Que ceux qui s’attendaient à trouver l’académique Joe Wright sur le terrain de l’artifice débridé osent lever la main. A fortiori dans un tel contexte, qui voit le réalisateur revenir aux œuvres en costumes et d’ascendance littéraire qui ont fait sa renommée, après deux tentatives de films modernes n’ayant pas convaincu grand-monde (Le soliste, Hanna). Wright est l’homme de l’adaptation la plus récente, et bien sous tous rapports – ce qui est essentiellement un compliment –, d’Orgueil et préjugés, et de celle, plus bancale, du roman d’Ian McEwen Atonement (Reviens-moi en VF). Il s’attaque cette fois à nul autre que Tolstoï, en lui faisant suivre la même route que les oligarques ayant fait fortune dans la Russie contemporaine offerte en pâture au capitalisme : celle de l’exil opulent en Angleterre. Cette relecture d’Anna Karenine abrite un casting intégralement britannique, dans des rôles aux manières, aux accents et aux aspirations so british. Wright s’est approprié le roman au point de le faire muer en un ballet tragique nourri aux thématiques duales chères à Jane Austen – orgueil et préjugés, raison et sentiments. Anna est mariée, s’éprend d’un autre homme, la morale et les usages de sa classe sociale réprouvent cet amour fou, à laquelle il lui est pour autant impossible de renoncer. Et nul happy end n’est au programme.
Puisqu’il fait d’Anna Karenine un mélo entier, où l’aspect social des choses est repoussé en coulisses, Wright est confronté sans filet à la difficulté inhérente à la pratique de ce genre de nos jours : trouver le moyen de nous faire ressentir les émotions primaires mais émoussées du genre comme au premier jour. Assez incroyablement, il y parvient dans un premier temps, par l’entremise de sa mise en scène qui nous alpague et nous surprend comme cela n’arrive plus si souvent. Partant d’une idée qui a elle seule ne suffirait pas sur la durée – jouer l’action dans un théâtre entièrement modulable au gré des séquences –, Wright a l’inspiration lumineuse de l’ouvrir aux quatre vents. Le cadre du film devient terre d’accueil pour toutes les formes d’expression artistique, le théâtre tout aussi bien que les spectacles d’automates, la peinture pour les décors fastueux, la musique et la danse dans de grisantes scènes de bals (et même en marge de celles-ci)… Wright compose et anime un idéal d’art total, qui enflamme l’écran de la même manière que son désir pour le comte Vronski affole le cœur d’Anna. Ce geste formaliste appelle quantité de références illustres, selon les moments et l’humeur de chacun. Me sont venues en tête le tout aussi sacrilège Moulin Rouge ! de Baz Luhrmann, Resnais pour la porosité entre le théâtre et la vie, Gilliam pour l’édification de machineries complexes et ludiques, factices et débordantes de vie.
Cette frasque virtuose trouve son couronnement dans une séquence d’exception, une sortie aux courses de chevaux où l’amour fou d’Anna pour Vronski va éclater au grand jour. Entre les mains de Wright, la scène devient un étourdissant feu d’artifices assemblant toutes les pratiques que j’évoquais plus haut. Elle sera malheureusement la dernière à réussir un tel tour de force, le délire du cinéaste s’étiolant par la suite. Dans cette seconde moitié où la passion irrésistible laisse la place à la douleur à vif, Wright est en rade d’inspiration. Le film ne fait plus beaucoup d’étincelles et nous ne faisons plus que voir, sans les éprouver, les épreuves terribles subies par son héroïne (l’isolement, la démence). Faute de nouvelle formule magique, Anna Karenine se fait rattraper par le ronron cotonneux des romances costumées – d’autant plus que l’idylle pure et donc fade entre deux seconds rôles, Levin et Kitty, se voit peu à peu traitée comme l’égale de l’intrigue principale. Une double peine attend même le film, qui paye à retardement la préférence donnée dans la première partie à l’esthétique par rapport aux personnages. Ceux-ci sont restés trop longtemps au rang d’auxiliaires pour pouvoir devenir suffisamment prééminents et intenses afin de porter le film sur leurs seules épaules. On regarde à distance se débattre contre le sort ces marionnettes, se mouvant selon un mécanisme qui continue à fonctionner mais dans une vitrine ayant perdu son éclat.